Si je commence à vous parler de cinéma indien, j’ai le sentiment que spontanément vous allez penser à ça.
Ou ça.
Chaque pays traîne son lot de lieux communs cinématographiques, ceux du cinéma indien n’en sont pas les moins kitchs : cascades sauce curry, dieux à multi – bras vengeurs sur fond de mauvaise incrustation, romance dansante et forcément contrariée entre jeune intouchable et fille de Maharadjah.
Bien que l’expérience soit loin d’être désagréable, le cinéma indien ne se résume (heureusement) pas qu’à ces quelques clichés. L’Inde compte dans ses rangs des réalisateurs jeunes, inventifs et qui ont envie d’explorer d’autres territoires.
Anurag Kashyap est de ceux – là. Il s’implante dans un courant radical, ancré dans le réalisme et la violence, qu’elle soit physique ou psychologique (et trouvant son origine dans de terribles conditions de vie).
Depuis qu’il s’est séparé de Shalini, la mère de Kali, Rahul voit rarement sa fille. Il faut dire que les deux ne sont pas quittés en bons termes, ses aspirations de comédien ayant mené à la dissolution de son couple. Un samedi de temps en temps, ramené à ses obligations paternelles, il passe quelques heures avec la gamine.
Au cours d’un de ces après – midi, il fait un arrêt pour récupérer les textes de sa prochaine audition. Dans l’intervalle, Kali restée l’attendre dans la voiture, disparaît. Rahul est alors suspecté de kidnapping.
L’affaire va être prise en main par Shoumik, responsable de la police locale, homme intègre mais dur, aux idées très traditionnelles (pour ne pas dire rétrogrades) et accessoirement beau – père de Kali.
Avec Ugly, on se situe à des mille de l’habituelle féerie sucrée des kitscheries bollywoodiennes.
Thriller nerveux où le réel frappe brutalement, le long – métrage a été tourné pour la plupart dans la tentaculaire Bombay. Néons blafards, photo crapauteuse, montage torve, Ugly colle à une réalité indienne que l’on n’a pas l’habitude de voir adaptée sur grand écran. Misère et précarité ne sont jamais occultées, mais poussent certains aux plus terribles extrémités.
Même s’il n’est pas à proprement parlé tiré d’une histoire vraie (se basant plutôt sur une palette de cas similaires), le film d’Anurag Kashyap propose une vision frontale de son pays, gangrené par la corruption, les abus policiers (la scène du premier interrogatoire en est un exemple assez saisissant), un pays où les femmes ont surtout intérêt à obéir à leur mari et à se tenir coite.
La réalisation peut parfois se montrer inégale, loucher un peu trop fortement sur le terrain d’illustres parrains américains (hello longues séquences et dialogues savamment décalés !) ou même vouloir trop bien faire en cassant une image de carte postale (confer l’avalanche de portables dans la quasi – totalité des plans, certainement une façon de démontrer la parfaite couverture du réseau 4G de l’État du Maharashtra).
Ugly n’en reste pas moins un long – métrage intéressant, fourmillant de bonnes idées et donnant un réel aperçu du renouveau d’un cinéma en pleine mutation. Ce qui laisse augurer le meilleur pour la suite.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio