« 24 jours, la vérité sur l’affaire Ilan Halimi » relate l’enquête sur l’enlèvement d’Ilan Halimi, en janvier 2006. J’avoue avoir vu ce film, un peu à reculons, je craignais sûrement que « la vérité » soit « tout ce qu’on ne vous a pas dit = la méchante police qui fait mal son travail », voire pire. Il n’en est rien. C’est avant tout un très beau portrait de femme. Si ce film traite de la violence qu’à subi cette famille, le film lui ne l’est pas, puisqu’il est tout public. A l’occasion de son avant-première au Gaumont Labège, j’ai pu rencontrer son réalisateur Alexandre Arcady et Pascal Elbé qui interprète le père d’Ilan.
Pourquoi avoir réalisé ce film sur l’histoire d’Ilan Halimi ?
Alexandre Arcady : C’était pour moi une nécessité de raconter cette histoire, parce que j’avais conscience qu’on allait oublier Ilan. J’en ai fait l’expérience hier, avec une télévision bordelaise : nous avons demandé aux gens dans la rue qui était Ilan Halimi. Personne n’avait savait qui il était. Puis, nous avons demandé s’ils connaissaient « le gang des Barbares », et là, ils savaient. On se rend compte qu’on fait la part belle aux bourreaux et qu’on oublie les victimes.
Au delà de ça, il fallait proposer une réflexion : comment en est-on arrivé là ? Il a fallu la sortie du récit en librairie de Ruth Halimi, avec le livre « 24 jours La vérité sur la mort d’Ilan Halimi» pour trouver le chemin. Ce cri d’une mère française était pour moi un beau chemin à prendre. Je suis rentré en immersion dans ces 24 jours, pour accompagner cette famille dans ce récit, qui est avant tout cinématographique. Il est construit comme un thriller : une enquête policière où la vie de ce jeune garçon est en jeu. Ce film n’est pas là pour faire bouger les consciences, mais il permet la transmission. Ce n’est pas un simple fait divers.
Pascal Elbé : Il a raison quand il dit que c’est d’abord un film de cinéma. Quand ma maman a été voir ce film, elle m’a dit avoir vu un portrait magnifique sur la souffrance d’une mère. Elle ne m’a pas parlé de droit du citoyen, ni d’un film qui défend une cause. Ce qui est magnifique dans le thème du film, et je pèse mes mots, c’est le silence assourdissant de 500 familles. On n’est pas dans l’explication, dans le commentaire de texte ici. C’est « voilà un fait de société, et comment la société en France réagit »
Alexandre Arcady : Je pense que la fiction peut jouer un rôle beaucoup plus efficace que n’importe quel reportage, parce que le cinéma passe par l’émotion, par la reconstitution, et par le cœur. On peut atteindre des objectifs beaucoup plus larges. Par exemple, je ne connaissais rien au génocide cambodgien, et à travers « La Déchirure », je l’ai découvert. Depuis, j’ai vu d’autres films qui m’ont plu, des comédies, mais ce qui reste et qui marque, ce sont ces films qui apportent ce poids, de l’émotion, de la réflexion, un sentiment partagé. Nous faisons une tournée d’avant-premières, et c’est la première fois que je constate ceci : les spectateurs ne bougent pas jusqu’à la fin du générique, comme s’ils avaient besoin de se retrouver eux-mêmes après avoir partagé ces 24 jours. C’est la raison pour laquelle la plupart me disent « merci » à la fin, tout en prenant leur téléphone pour joindre leurs enfants.
Avez-vous effectué des changements par rapport au livre pour l’adapter ?
Alexandre Arcady : Non, nous avons tout gardé. Il me paraissait normal, après l’écriture, de faire lire le scénario à la famille d’Ilan. Les sœurs ont tenu à ce qu’on remette leur vrai prénom. Dans le livre, Ruth les avait changés, pour les protéger. C’était une façon de montrer leur adhésion au projet.
Est-ce un film dur à financer ?
Alexandre Arcady : Aucune chaine hertzienne n’est coproductrice
Le choix de votre casting ?
Alexandre Arcady : On a eu un drame affectif avec la disparition de Valérie Benguigui (NDLR : le film lui est co-dédié) qui devait interpréter le rôle principal. Elle a décliné le rôle 15 jours avant le début du tournage. Zabou a repris le flambeau avec une maestria et une dignité, une force incroyable. Depuis que j’avais écrit le scénario, je pensais à Pascal pour le rôle du père : on avait passé des moments formidables sur « Comme les 5 doigts de la main ». J’apprécie non seulement sa qualité d’acteur, mais sa sensibilité. Je trouvais que ce personnage avait cette force qu’il fallait incarner dans la pudeur et la retenue. Je ne me suis pas trompé.
Jacques Gamblin en lisant le scénario m’a donné son accord immédiatement, de même pour Sylvie Testud. Syrus Shahidi qui joue Ilan a fait un travail magnifique. Il faut saluer Tony Harrisson qui joue ce fou qu’est Youssouf Fofana. Beaucoup d’acteurs ont décliné ce rôle, et lui a été très clair : « Je vais faire mon job d’acteur et je te fais confiance pour me diriger comme tu le souhaites. »
Dans le film, José (Eric Caravaca) bouscule le Commandant Delcour (Jacques Gamblin) en lui disant « Il n y a que toi qui ne vois pas les preuves (que c’est un enlèvement antisémite) ». Ce passage-là s’est-il réellement déroulé ou appartient-il à la fiction ?
Alexandre Arcady : C’est plutôt fictionnel. Je n’ai pas voulu faire un reportage, nous sommes partis sur les faits de l’enquête. A l’intérieur de ces 24 jours, je pense que, forcément, certains policiers avaient une réflexion différente. Je me suis permis d’apporter un personnage comme celui-là. Ils ont pris l’option de ne pas se dévoiler pour protéger l’otage. Donc pas d’enquête de proximité, pas de divulgation, pas d’avis de recherche. Ils se sont enfermés dans une technique, qui n’a pas abouti. Mais je pense qu’ils ont fait le maximum, qu’ils avaient à cœur de sauver Ilan.
En plus du très beau portrait de la mère, je trouve que vous avez réussi à ne pas faire « les mauvais flics », ce qui était un peu ma crainte, je l’avoue, avant de voir le film.
Alexandre Arcady : J’aurais pu charger la barque, mais je pense qu’au fond d’eux, il y a une déception terrible de l’échec de cette enquête. Ils se sont trompés de chemin souvent : ils ont cru que c’était un trafic de portables, puis il y a eu une piste liée à la prostitution. Ils ont pensé que c’était vraiment organisé. Ce drame est proche des faits de celui de « La fille du RER » et six mois après les émeutes de l’été 2005. Il y avait la volonté de ne pas mettre « d’huile sur le feu », de ne pas monter les communautés les unes contre les autres. Il a fallu le cri d’une mère, encore une fois, après la mort d’Ilan, pour faire reconnaître la vérité, que le procureur de la République reconnaisse les circonstances aggravantes. Il faut nommer les choses.
Même Ruth n’accable pas la police. Elle dit dans son récit « dans toute enquête policière, il y a un facteur chance, et mon fils n’en a pas eue » mais je ne pouvais pas le mettre car je suis dans le fait réel. Même avec une voix off, ça ne passait pas.
Vous évoquez aussi « la chance » quand Zabou voit un suspect et dit « il a eu de la chance, il n’a pas répondu »
Alexandre Arcady : Oui car il n’a pas répondu à l’appel aux avances de l’appât.
Pascal Elbé : En fait, depuis le début, quand il propose à son pote de sortir le soir, les choix ne sont pas en sa faveur. Le concours de circonstances, ça commence là. Il y a très longtemps, j’ai connu le mec qui était en charge de l’affaire à la brigade criminelle, le supérieur du personnage de Gamblin. Il porte ça comme un fiasco absolu de l’autorité. C’est un sentiment terrible pour eux.
Vous avez tourné sur les lieux où s’est passé ce drame. Cela vous était-il nécessaire ?
Alexandre Arcady : A partir du moment où on ne fait pas un reportage, qu’on retraduit la vie, je pense que cela aide le metteur en scène et les acteurs de se retrouver dans des lieux emblématiques. Être au 36 quai des Orfèvres a déjà une valeur : la police a accepté qu’on y tourne. C’est une première. Alors que dans le film, l’enquête policière n’a pas réussi. De même, je trouvais normal de tourner à la Gare de Sainte-Geneviève-des-Bois, où Ilan avait rendu son dernier soupir. Ça avait quelque chose de digne.
Au moment de l’écriture, du tournage ou encore du montage, vous êtes-vous dit « ça, il faut que j’évite » ?
Alexandre Arcady : Au moment de l’écriture, j’ai voulu donner mon point de vue. J’ai écrit une scène où j’expliquais ce que je ressentais en tant que citoyen. Fondamentalement, j’ai fait le film pour mettre en scène ce moment-là. Et puis, la réalité du film était telle, que j’ai retiré la scène : je n’avais pas besoin de donner mon opinion, mais sans me faire violence. Ce qui se passe à la fin du film est plus intéressant : les gens se questionnent sur l’indifférence, l’enfermement d’une société, la peur qu’on peut avoir. Les jeunes qui découvrent cette affaire sont effarés.
Quels sont vos futurs projets ?
Pascal Elbé : Le cinéma traverse une grosse tempête, on est tous en attente de financements, mais je vais réaliser mon prochain film. Et pour me changer la tête, je vais tourner pour la première fois avec Mocky. C’est un monsieur tellement à part, que c’est l’occasion de m’amuser.
Pour en savoir plus sur le rapport entre le livre et le film, retrouvez Alexandre Arcady, Pascal Elbé et la co-auteure du livre Emilie Frèche dans l’émission « Au Field de la nuit » sur le lien suivant