Une fois n’est pas coutume, je vais parler d’un bouquin, d’un petit bouquin, à petit prix (9 euros), pas facile à trouver (il faut souvent le faire commander par votre libraire aux Editions Arcane 17, www.editions-arcane17.net), mais c’est comme toute les bonnes choses, il faut se les gagner pour les apprécier vraiment, comme dit la sagesse populaire, et je vous garantis que vous ne le regretterez pas.
Si vous aimez le rock and roll, bien sûr, le vrai, celui qui colle à la peau quand on aime la vie et qu’on est un révolté de la tendresse, bien sûr; et qu’on n’est pas manichéen, que tout n’est pas noir ou blanc, mais les deux, que la musique et la poésie se conjuguent de toutes les couleurs dans votre bibliothèque sonore ou littéraire. Mais surtout pas dans la mièvrerie ou la médiocrité…
C’est le cas de Pierre Domengès*, un drôle de bonhomme qui a beaucoup roulé sa bosse sur les sentiers de cette musique unique, sans laquelle il ne pourrait vivre, qui est le directeur artistique d’une Scène de Musiques Actuelles**, la Gespe***, à Tarbes; mais pas seulement, pas seulement…
Chez lui, l’éclectisme est érigé en religion. Il aime le rock comme Roger Couderc aimait le rugby: MC5, les Ramones, les Clash, comme le Stade toulousain, Toulon ou Dax… Il sait que Léo Ferré était aussi un rocker et que la musique arabo-andalouse a des accents rock and roll, ou vice versa. Que même si les ténors de cette musique de sauvages avaient mauvais genre, l’essentiel est invisible pour les yeux et qu’ils valaient cent fois mieux que leurs censeurs.
Il a tout compris de cet esprit incarné en leur temps par Hendrix ou Morrison, entre autres, (et que quelques irreductibles s’acharnent à faire vivre) qui pourrait bien être celui des sixties, des années 60, avec ses excès, les défauts de ses qualités, son « lait caillé » comme se plaisait à le dire notre ancien Président, mais surtout avec ses fulgurances, ses tendresses, ses artistes et même ses mystiques, résumés en trois mots qui veulent dire « faire l’amour », dans l’argot des afro-américains.
Pierre Domengès a un style inimitable, mi-gouailleur, mi-érudit, qui ne se laisse pas apprivoiser tout de suite; mais une fois qu’on est rentré dedans, on dévore le bouquin d’une seule traite et même on revient en arrière pour déguster certains chapitres.
Chez lui, les républicains espagnols voisinent avec les galériens des scènes électriques (même les méconnus qu’il ne faut surtout pas dédaigner), les bas-fonds de Barcelone avec les banlieues de Tarbes ou de San Diego, Californie, le bon vin de Bordeaux et la bière anglaise, les gamines paumées et les artistes maudits; et tout cela fait bon ménage.
Dans ce « Territoire ennemi » (une citation de Joe Strummer des Clash, allusion à ces jeunes anglais révoltés qui devaient survivre au royaume de Madame Thatcher et du libéralisme économique triomphant), vous croiserez Johnny Cash dans un hameau perdu des Corbières, Elvis Presley chez Franco (oui, le tyran espagnol), Marc Minelli à la mine de Carmaux (chez Michel Besset, le prophète du rock noir), Jerry Lee Lewis à la station essence d’un supermarché ou Joe Strummer sur l’endroit présumé de la fosse où repose Federico Garcia Lorca ! Des saynètes pleines de sève mais aussi de vitriol, qui ne lassent pas de nous surprendre et de nous enchanter…
…C’est quoi le rock ?
Ne comptez pas sur moi pour répondre à la question, ne cherchez pas non plus dans les lignes qui vont suivre une quelconque définition du genre. Depuis la signature chez Sun Records d’un certain Elvis Presley lors de l’été 54, les auto-proclamés gardiens du temple, ceux qui sont capables d’écrire un tome sur un poil pubien de Patti Smith ou sur une virgule de l’épitaphe de Jim Morrison s’occupent à fixer les contours de cette musique. A défaut de m’associer à cette entreprise, de chercher à définir ce bon vieux rythme binaire et de le classer dans la grande bibliothèque des styles contemporains, je peux affirmer que ce putain de rock’n’roll, je l’ai rencontré, bien souvent, bien plus souvent que mes ancêtres pyrénéens ont cru voir l’ours.
La comparaison avec le sulfureux plantigrade n’est pas gratuite quand on sait qu’on les annonce tous deux en voie d’extinction. Malgré tout, ils réapparaissent régulièrement, toujours plus en danger, mais prêts à sortir d’une grotte, d’un buisson de buis, d’une scène moite ou d’un vieux poste radio fraîchement réparé.
En tout cas j’ai pas eu besoin de fréquenter les cocktails parisiens ou New-Yorkais, les « back stages » enfumés ou les « after branchouillardes » pour toiser ce vieux phoque à l’haleine chargée d’un délicat mélange de houblon, de malt et de tabac froid…
Domengès transmet cet « espoir à pleurer de rage d’un monde meilleur pour tous »**** chanté par certains artistes de cette musique, autant Poètes que Musiciens… qui continuent à nous dire que l’on est toujours perdant lorsque l’on renonce à ses convictions et à ses principes, en particulier les Droits de l’Homme et du Citoyen.
Que grâce à John Lennon, nous avons imaginé « un monde sans guerre », où l’amour peut être libre; que grâce à Jim Morrison, nous avons compris que « même si nous sommes des passagers de la tempête, nous devons nous réapproprier nos corps comme nos esprits ». Qu’au-delà d’une révolte spontanée, ils affirmaient que « seul l’Amour rend beau »; que « personne n’a le droit de nous dicter nos choix de vie ».
Et que « la Musique est notre meilleure amie. Jusqu’à la fin ! »
Cela, Pierre Domengès, veut le faire partager aux jeunes générations invitées à La Gespe comme à ses lecteurs déjà vieux routiers. En affirmant à sa manière que même si l’actualité télévisée nous donne plus que jamais matière à désespérer, il reviendra toujours le temps des cerises, ne serait-ce que le temps d’un printemps.
C’est peu de dire qu’il y réussit fort bien.
On the road again with Mister Pierre Domengès !
Elrik Fabre-Maigné
8 mai 2014
28 Mai: Dédicace à Vic Bigorre salle de l’Octav avec Dieval and the propulsions,
10 Juin 2014: Le rock’n’roll est mort ? causerie autour du livre de Pierre Domengès, « Territoire ennemi »,
20 Juin 2014: Du rock ‘n’ »roll et des hommes !!! causerie avec Pierre Domengès.
** Le sigle SMAc « Scène de Musiques Actuelles » correspond, depuis 1998, au programme du Ministère de la Culture pour la valorisation et la diffusion des musiques actuelles. Il désigne une convention multiartite spécifique élaborée entre les établissements et leurs partenaires publics : Etats et Collectivités Territoriales s’engageant sur une aide pérenne au fonctionnement sur une période de trois années.
Le label SMAc est donc un dispositif créé et soutenu par le Ministère, qui regroupe environ 150 divers lieux musicaux de petite et moyenne capacité, dédiés aux musiques actuelles/amplifiées.
Jouant un rôle essentiel en termes de diffusion, ces structures mettent fréquemment à disposition un Pôle Information Musique, des espaces de répétitions, de création et d’accompagnement artistique.
Les Établissements SMAc s’adressent à un large public, amateurs et professionnels, notamment aux artistes en développement de carrière en vue de consolider leur insertion au sein des réseaux de l’industrie musicale.
Qu’appellent-on « Musiques actuelles et amplifiées » ?
Pour faire court, il faut savoir que cette appellation un peu vague utilisée par les institutions publiques et les professionnels du secteur, désigne aussi bien le rock que le jazz, les musiques électroniques, les musiques traditionnelles, le rap, le reggae, la soul, la chanson…
Pour faire court, il faut savoir que cette appellation un peu vague utilisée par les institutions publiques et les professionnels du secteur, désigne aussi bien le rock que le jazz, les musiques électroniques, les musiques traditionnelles, le rap, le reggae, la soul, la chanson… En bref, ce qui ne concerne pas les musiques classiques et lyriques.
*** www.lagespe.com
Centre Culturel de Tarbes dédié à la musique actuelle.
23 Rue Paul Cézanne, 65000 Tarbes 05 62 51 32 98
**** Nazim Hikmet (1901-1963), grand poète turc et citoyen du monde qui passa la majeure partie de sa vie en prison et exil pour socialisme (le vrai): ça ne surprendra pas Pierre Domengès que je le cite dans cette chronique.