Plus jeune, j’adorais les films de Pierre Salvadori. Surtout ses premiers, Cible Émouvante ou Les Apprentis. J’aimais leur côté burlesque, la faculté du réalisateur à traiter des petites choses de la vie, son art du dialogue. À cette époque, Guillaume Depardieu avait encore ses deux jambes et une sensibilité bouleversante, Marie Trintignant toute sa liberté et sa fougue, c’était le bon temps tiens.
Et puis, je ne sais trop pour quelle raison, Pierre et moi sommes partis chacun de notre côté. Pendant une bonne dizaine d’années, on ne s’est plus donné de nouvelles. Jusqu’à dimanche dernier, où par un heureux hasard, je suis tombée sur une émission de radio dont il était l’invité*.
Alors voilà, Antoine est musicien et ne va pas très bien. À tel point qu’il lâche ses copains en pleine tournée. Antoine rêve d’avoir une activité qui l’empêche de trop penser, il aspire à la normalité, dormir la nuit, ne plus avoir la tête emplie d’idées noires.
On lui dégote une annonce pour travailler comme concierge, Antoine accepte. De toute façon, ça ou autre chose … Pour l’entretien, il se retrouve face à Serge et Mathilde, jeunes retraités actifs, qui gèrent le syndic de leur immeuble.
Bon gré, mal gré, il arrive à donner le change et à avoir le poste (il faut dire que les candidats potentiels ne se pressent pas au portillon). Il se retrouve donc à gérer les petits travaux, les exigences de chacun tout en essayant de gérer le bordel qu’est devenue sa vie.
Des menus travaux l’amènent chez Mathilde pour laquelle une fissure dans le mur tourne à l’obsession. Antoine prend conscience qu’elle est en train de glisser tout doucement vers la folie alors que personne ne semble réellement s’en rendre compte.
Pierre Salvadori s’est éloigné du registre de la comédie avec une pointe d’humour grinçant qu’il affectionnait tant, pour se tourner vers quelque chose de plus sombre, pas totalement dénué de légèreté pour autant.
Dans son film, tous les personnages ont de sacrés problèmes de positionnement et vont mal, à l’image d’une Catherine Deneuve (absolument impeccable au demeurant), dont l’effritement du mur de son appartement est un parallèle du sien propre.
L’incompréhension, la dépression, la solitude, le sentiment d’avoir raté sa vie sont au coeur de Dans la cour. Cependant, si le propos est assez pessimiste, le tout n’en reste pas moins empreint d’une certaine fantaisie, parfois même traversé d’un comique de situation bienvenu.
Pierre Salvadori distille son histoire par le biais d’acteurs dont la présence ici pourrait sembler improbable au premier abord. La grande Catherine donc, Féodor Atkine (la voix de Dr House), Pio Marmaï et bien entendu Gustave Kervern, qui trouve ici son premier vrai grand rôle au cinéma (même s’il a déjà fait l’acteur dans plusieurs des longs – métrages fabriqués en compagnie de son compère Benoit Delépine).
Hirsute (comme à son habitude), débonnaire, grommelant, il campe ce concierge d’une autre espèce, dépressif, alcoolique et s’enfilant des rails de coke plus vite qu’il ne serpille la cage d’escalier. Si à l’origine, Pierre Salvadori avait écrit le rôle en s’inspirant de Guillaume Depardieu (à la base, le long – métrage s’appelait même » Guillaume « , hommage à celui qui fut l’alter ego du réalisateur pendant de nombreuses années), Gustave Kervern s’approprie très justement le rôle.
Dans la cour s’avère un petit film des plus sympathiques, triste et gai à la fois. Dans le fond, je ne suis pas mécontente qu’on se soit retrouvé Pierre et moi.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio
En salle depuis le 23 avril
* : L’émission de radio, c’est celle de l’excellente Rebecca Manzoni, que vous pouvez aller écouter par là. Possible même que cela vous (ré)concilie avec Pierre Salvadori.