Concert Ravel de François Dumont à l’Espace Croix-Baragnon
Sonatine
Miroirs :
Noctuelles
Oiseaux tristes
Une barque sur l’océan
Alborada del gracioso
La vallée des cloches
Pavane pour une infante défunte
Gaspard de la nuit :
Ondine
Le gibet
Scarbo
La Valse
Il est fort rare d’avoir un programme de concert de piano tout entier consacré à Maurice Ravel, et en plus oser donner en bis La valse pour un seul piano, et pourquoi pas après Islamey de Balakirev tant qu’on y est ? Mais ce n’est pas de l’inconscience, c’est une aventure cohérente, réfléchie, aboutie.
Plus que de la virtuosité il faut certes un grand courage, mais surtout une science infaillible de la périlleuse architecture des pièces pour piano de l’enchanteur parfois pervers autant qu‘enfantin qu’était Ravel.
François Dumont est non seulement un grand pianiste, mais un grand coloriste, et il sait faire ressortir avec une lisibilité incroyable toutes les lignes de la musique. La beauté de son toucher, la pureté de ses notes alliant les plus cristallines aux basses profondes et noires que dispense à foison Ravel, font de lui un interprète d’exception de ce compositeur, comme de Chopin et de Mozart, ou même Messiaen, Janacek et Liszt, qu’il joue également superbement.
Devant hélas pas une salle comble comme il se devrait, ce fut avec celui de son maître Hervé Billaut le plus beau concert de la saison à la Salle Bleue. Le piano parfaitement accordé et la très bonne acoustique, démontraient qu’il n’est pas nécessaire de cogner pour se faire entendre.
François Dumont est il faut le rappeler titulaire du concours Reine Elisabeth à Bruxelles en 2007, du Concours Chopin de Varsovie en 2010 dont le jury, à l’occasion du bicentenaire, réunissait notamment Martha Argerich et Nelson Freire, et en 2102, les Piano Masters de Montecarlo.
En 2012, il reçoit le Prix de la Révélation de la Critique Musicale Française. Et il a à peine 29 ans !
Après un long compagnonnage avec Mozart, intégrale des sonates, et bien sûr avec son cher Chopin, il se tourne maintenant vers le monde plus complexe et plus noir de Ravel, ou le tourbillon des valses court à la catastrophe d’un monde, ou la fée Ondine annonce le sinistre Scarbo.
Il va d’ailleurs bientôt donner à Lyon le concerto pour la main gauche. Il a aussi formé un trio, le trio élégiaque, sans doute un hommage à Rachmaninov.
Avec ce programme incroyable mettant ensemble les œuvres les plus périlleuses et les plus chargées d’abîme comme Miroirs ou Gaspard de la Nuit, seulement apaisées par une Sonatine très personnelle avec ses ralentissements et sa mélancolique révérence au passé avec son menuet, et par une Pavane à une Infante défunte lourde de tendresse et de retenue, et un dernier bis insolite comme une berceuse d’adieu, La plus que lente du rival Debussy.
C’est dans les trois pièces majeures, Miroirs, Gaspard, La Valse, qu’il faut admirer la maturité, la musicalité, le lyrisme, et la profonde vision qu’a François Dumont de l’œuvre de Ravel.
Dans Miroirs (1905), contemporain de la Sonatine comme l’explique simplement avant de jouer François Dumont, la magie planante des papillons de nuit, (Noctuelles), le recueillement angoissé des Oiseaux tristes, le sacré inquiétant de la Vallée des Cloches, sont restitués avec une poésie précise et d’une grande intensité sonore. Le balancement impressionniste d’Une barque sur l’océan est comme une marée, sans doute celle de Saint-Jean de Luz.
Et l’aubade du bouffon est sarcastique à souhait, ébouriffante de virtuosité, pourtant hors de portée du pianiste Maurice Ravel, comme de la terrible Marguerite Long. Dans Gaspard de la Nuit, Ondine est comme de la rosée avec bien sûr des notes perlées, des frissons sur le piano.
Le gibet est un glas où l’on entend comme rarement la note maudite de Sol martelée la mort.
Et Scarbo est aussi diabolique que le faisait Samson François, avec ces vagues d’épouvante, ces apparitions maléfiques. On aurait pu penser qu’après un tel défi pour les pianistes François Dumont allait nous gratifier par exemple d’un extrait du Tombeau de Couperin, mais non puisque on avait approché une sorte de folie, François Dumont nous offre la transcription du poème chorégraphique La Valse (1920) non pas pour deux pianos, mais la version de base pour piano seul.
Et François Dumont fait de ce « tourbillon fantastique et fatal », le tombeau de la fin de la civilisation occidentale. Il lui donne des couleurs tragiques, faisant triompher les notes graves et sinistres, plus que les lambeaux des valses, simples images de décadence.
La folie finale est chez ce pianiste un gouffre plus qu’un tourbillon.
Cette interprétation suffocante rend tout le tragique sous-jacent de la musique, et en fait tout l’aspect pessimiste du grand Ravel. François Dumont a tout compris de ces mystères
Un très grand ravélien est parmi nous et dont témoigne son très bel enregistrement de l’intégrale du piano de Ravel chez Piano Classics ! Un pianiste rare aussi bien illuminé dans la grâce de Mozart, que visionnaire dans l’horlogerie parfois inquiétante de Ravel.
Vivement un prochain concert à Toulouse, soit en piano seul soit avec son trio et si possible alors dans les deux merveilleux trios élégiaques de Rachmaninov !
Gil Pressnitzer