Je crois que les intentions de Gérontophilia sont, dès le départ, assez claires.
Lake a tout juste 18 ans et il est joli comme un coeur. Arborant en permanence ce sourire un brin moqueur, Lake a aussi une petite copine qui adore établir des listes d’activistes féministes, une mère un peu névrosée dont il faut bien s’occuper.
Pour gagner sa vie, il travaille comme maître – nageur et profite du moindre temps mort pour noircir le carnet de croquis qui ne le quitte jamais. Son entourage ne soupçonne pas les doutes qui l’assaillent, l’attirance qui le tenaille et le trouble. Car si son carnet est bien rempli de dessins, ce sont ceux des corps efflanqués de personnes âgées qu’il croise. À la sortie des écoles, là où les jeunes de son âge bavent sur les adolescentes, lui fait une fixation sur le vieux bonhomme qui sécurise la rue.
Quand un vieillard, venu barboter dans le grand bain, échappe de peu à la noyade suite à son efficace bouche – à – bouche, Lake se retrouve affublé d’une solide érection, difficile à dissimuler. Honteux, il s’enfuit. Et doit se trouver un nouvel emploi.
Ça tombe bien, sa mère lui en a dégoté un dans une maison de retraite.
Jusqu’ici, le réalisateur canadien Bruce LaBruce n’avait bénéficié que d’une visibilité restreinte dans le milieu du 7ième art. Si l’homme officie depuis de nombreuses années en tant que réalisateur et photographe, il évoluait alors (et là, je schématise un peu) dans un cinéma mêlant surtout vision pornographique et revendications gays (pas forcément le courant le plus commercial en soi).
Jusqu’ici, ses productions (souvent porteuses de réflexions quant à la sexualité homosexuelle), avaient surtout pour point commun d’être considérablement fauchées (comme le montre la bande – annonce d’un de ses derniers films, L.A Zombie).
Sortant des sentiers d’un cinéma de genre qui avait fait sa renommée, s’ouvrant à un public beaucoup plus large (sans que cela soit forcément chose négative), doté d’un budget bien plus conséquent qu’à l’ordinaire, Bruce LaBruce offre avec Gérontophilia une belle histoire, universelle, dépassant largement les cadres d’une quelconque caste.
Le réalisateur montre ici qu’il possède la maîtrise de la caméra, qu’il sait ce que veut dire réalisation créative, photographie léchée, bande – son fringante.
Au – delà de ces effets esthétiques (qui, sans être vitaux, font toujours plaisir à voir sur grand écran), Bruce LaBruce aborde surtout avec intelligence, humour et légèreté, un thème bien délicat sur le papier.
Il le dit lui – même, l’idée de son long – métrage lui est venue car il avait » un ami noir dont les préférences sexuelles ne concernaient que les hommes blancs âgés de plus de cinquante ans. Son entourage était très frustré parce qu’il n’arrivait pas à comprendre ses goûts jugés bizarres alors que lui – même était jeune et très beau. Visiblement, ce garçon se faisait une autre idée de la beauté en refusant de suivre les règles « .
Le pari est réussi. L’idée est négociée sans voyeurisme ni effet freak show, ne renvoit rien de scabreux. La relation entre Luke et Mr Peabody est traitée simplement, comme les questionnements et les réactions de l’entourage des deux amants.
La justesse du ton est appuyée par une direction d’acteurs adroite, confortée par des choix judicieux au moment du casting : le vénérable Walter Borden (l’interprète de Mr Peabody), la pétillante Katie Boland. Mais il est vrai qu’on ne voit (presque) que lui à l’écran (alors que c’est là son tout premier rôle), je veux bien sûr parler du tout jeune et solaire Pier – Gabriel Lajoie qui, s’il continue sur cette lancée, entame une carrière fort prometteuse.
Ne soyez pas effrayé par le titre un peu char d’assaut du film et allez soutenir sans modération Gérontophilia. D’abord parce que vous aiderez un cinéma différent, qui mériterait une diffusion plus importante. Et puis surtout parce que vous assisterez à un vrai moment délicat, touchant et joyeux, une histoire d’amour un peu hors catégorie oui, d’accord, mais pas que.
En vous remerciant.