On sort abasourdi de la danse d’Israel Galván. Perturbé, dérouté.
Le théâtre est nu, projecteurs, régisseurs, fils et ficelles semblent être là pour les hasards d’un premier filage. Il n’en est rien, et ce bazar est rigoureusement chorégraphié. Cinq tableaux, cinq stations d’un chemin de croix : Prologue, l’Homme, la Femme, Entracte, La mort. Comment peut-on danser l’extermination des tsiganes par les nazis ? Violemment, bruyamment.
Ce corps-là est, de fait, plus modeste et plus intelligent que les autres : il n’annonce jamais qu’il va devenir sublime [1]. Le corps est aminci, le visage émacié par la barbe. Un salut nazi qui se racornit comme feuille morte. Israel Galván « [danse] comme si c’était le dernier jour, toujours ». De profil dans les rectangles de lumière, dialoguant avec sa solitude, là-bas, au fond de la coulisse. Coincé dans ce piano couché sur la tranche qui rend tripes et cordes. Foulant aux pieds la peur sur une plaque de tôle incurvée. Couché comme un cadavre, Zig et zig et zag, la mort en cadence / On entend claquer les os des danseurs. Dangereusement écartelé sur les rails sinistres, pour des zapateados défiant l’équilibre. Tout accident provoqué, voire recherché par les différents dispositifs participe de [la] plasticité [2] du danseur. Accessoires et corps sont objets sonores, prétextes à nundillos étranges, inquiétants. Et quand il s’arrête, il ne s’arrête pas pour autant de danser. Il danse sans arrêt, donc il danse son arrêt [1].
Une fille (Belén Maya) en jupe à fleurs sur un pantalon de survet rose, chaussettes et sabots. Elle semble danser librement mais sera bientôt accrochée dans les cordes sorties des entrailles du piano, étendue comme du linge, enchevêtrée dans les barbelés. Une autre fille, très belle en Carmen grotesque (Isabel Bayón), fait un Cabaret inquiétant.
Chants et poèmes (en espagnol, en allemand, en dada), grincements du violon (Eloisa Cantón), accents de Tannhaüser, écho sinistre des poutrelles précipitées et traînées au sol, palmas et percussions. La danse est opéra. Sublime, tragique.
Le finale est un duo éphémère et rare, où Israel Galván et Belén Maya, pieds nus, s’avancent vers le néant. Les corps se touchent, se soutiennent. Alors les murs s’élèvent, implacables, entre scène et salle, et ces gens qu’on n’entend presque plus restent derrière. Noir.
[1] Georges Didi-Huberman – Le Danseur des solitudes. Les Éditions de Minuit 2006
[2] Corinne Frayssinet Savy – Israel Galván. Danser le silence. Actes Sud 2009
Photos © Javier del Real
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.