Comme tout un chacun, je génère mon propre lot de clichés. Au sein de mes amis, je me trimbale l’image » Cahiers du Cinéma ” (je suis pourtant une véritable escroquerie en la matière, moi qui n’ai jamais ouvert une page de cette revue) et l’on m’attribue une passion dévorante pour de sombres réalisateurs ouzbeks et inuits. D’ailleurs, je m’entends assez régulièrement dire que ” toi, de toute façon, tu ne vas voir que des films sous – titrés en blanc dans la neige ” (mon entourage a le sens de la formule).
Vous qui me suivez depuis quelque temps maintenant, vous savez bien que cette réputation outrepasse de loin les compétences que l’on me prête. Mais comme je dois être un peu maso sur les bords (ou que j’ai finalement très envie que la légende rejoigne la réalité), je suis allée voir un film polonais. En noir et blanc. Sous – titré. Dans la neige.
Dans la Pologne des années 60, Anna s’apprête à devenir nonne au coeur du couvent où elle a grandi. Quelques jours avant la cérémonie, on lui révèle l’identité de ses parents. Elle apprend que son véritable prénom est en réalité Ida et que Wanda, sa tante et seule famille restante, a tenté de la contacter à plusieurs reprises.
Avant de prononcer des voeux qui l’isoleront du monde extérieur, la mère supérieure la pousse à aller rencontrer cette femme dont elle ne sait rien. Très réticente tout d’abord, Ida va nouer le dialogue avec Wanda et tenter d’en apprendre davantage sur la disparition de ses parents.
Croyez – moi sur parole, Ida n’a rien du long – métrage auteuriste ou dépressif que ce court résumé pourrait laisser paraître. Même si on est loin du domaine de la franche rigolade, ces (re)trouvailles entre ces deux femmes que tout opppose n’a rien de pesant ni d’ennuyeux.
Ida est une histoire simple, bouleversante, traversée d’émotions brutes et du souffle de la tragédie, un film à l’allure intemporelle où le passé marque les êtres au fer rouge. Pawel Pawlikoski y façonne une belle image dépouillée, des cadrages sublimes comme on n’en voit rarement (avec des acteurs souvent placés tout en bas du cadre – minuscules sous l’immensité qui les surplombe – ou qui en sortent à moitié, comme s’ils voulaient s’échapper), du noir et blanc magnifique et des personnages de peu de mots mais incroyablement expressifs.
Bordel que c’est beau …
Pour son premier film entièrement tourné dans son pays et sa langue d’origine, le réalisateur situe son histoire dans une époque proche de ce qu’il connut enfant, ne cessant d’écrire et modifier son scénario au fur et à mesure du tournage (a priori une spécialité chez lui).
Je ne sais pas si ce processus en est le seul responsable, mais beaucoup de spontanéité et une vraie fraîcheur en ressortent.
Mais cela ne serait rien sans compter des incarnations totales, qui se reçoivent comme de phénoménales gifles.
Agata Kulesza, au charisme redoutable, aussi sombre que révoltée.
Dawid Ogrodnik, classe, douceur et petit air à la Ian Curtis.
Agata Trzebuchowska, dont ce sont les premiers pas devant une caméra, mélange incroyable de fragilité et de force immense.
Par Ida, vous recevrez votre premier uppercut esthétique de l’année. Avec ce très beau film, vous rencontrerez un réalisateur talentueux (après ça, on n’a plus qu’une envie, celle de se plonger dans le reste de sa filmographie). Et finalement, me concernant, tout va bien, je n’ai pas failli à ma réputation.
En vous remerciant.