Dès l’entrée dans l’Espace EDF du Bazacle, « on en prend plein les yeux », c’est le cas de le dire: la Garonne roulant ses flots boueux et les nuées d’oiseaux marins attendant leur manne, puis l’entrée reconstituée du Plaza, cinéma toulousain aujourd’hui disparu, et enfin les affiches monumentales annonçant des films mythiques, tout est à l’unisson pour nous faire rentrer dans l’émerveillement du 7° art. Art majeur, s’il en est, dont la Cinémathèque de Toulouse œuvre avec passion à la conservation; et cela depuis un demi-siècle déjà.
Les 20 affiches de façade sur les 184 sauvées par l’équipe fondatrices de cette vénérable institution, lors de la fermeture du cinéma le Royal en 1977, peintes à la main et mesurant près de 2 mètres sur 5, restaurées et conservées au Centre de Conservation de Balma, sont chatoyantes de couleurs et de visages connus: de Catherine Deneuve, dans Peau d’âne de Jacques Demy, à Clint Eastwood, dans L’inspecteur Harry, en passant par Christopher Lee dans Le masque de Fu-Manchu. Il y a même celle qui exposait le corps suggéré de la Possédée, évoquant une suédoise à l’époque fantasme absolu, pour annoncer un film interdit au moins de 18 ans. Sans oublier celles de films d’anthologie, comme «Rio Bravo» ou «2001, Odyssée de l’Espace».
La plupart ont été peintes au cours des années 60 et 70 et on découvre avec intérêt que l’artiste, je devrais dire l’artisan, qui les a fignolées, André Azaïs, était un toulousain, travaillant dans un atelier de la rue Saint Jérôme, avec, pinceaux, palette, couleur, chambre claire*, lanterne magique. Ce dernier appareil nous ramène aux origines du cinéma, mais aussi à la sidération qu’il peut provoquer.
Personnellement, j’ai connu enfant ces cinémas toulousains dans les années 50, autour de la place Wilson, où l’on ne passait qu’un seul film à la fois, et même s’ils projetaient des navets, des films d’horreur ou des érotiques (qui faisaient salle comble au Zig-Zag par exemple), ils projetaient plus souvent des chef-d’œuvres que des blockbusters. Le Plaza, le Royal, les Nouveautés, les Variétés, le Trianon Palace, autant de noms qui évoquent des souvenirs émus de ces salles obscures pour le refuge populaire qu’elles offraient à toutes les classe sociales, aux amoureux, du temps où s’embrasser dans la rue était un gros péché, mais aussi aux résistants sous l’occupation.
Voilà une bien belle entrée en matière pour célébrer le travail remarquable de la Cinémathèque de Toulouse, qui n’a rien à envier à celles de Paris, de Barcelone, Vienne ou Moscou, avec lesquelles elle travaille régulièrement, sous l’impulsion éclairée de Natacha Laurent.
Madame (en Angleterre, elle serait sans doute anoblie par la Reine, comme Maggie Smith ou Judith Dench**) Isabelle Huppert, à laquelle une rétrospective de vingt films sera consacrée tout ce mois de février, sera la marraine de ce cinquantenaire.
Outre cette exposition, projections et ciné-concerts, seront au menu de l’année 2014; et le festival «Zoom arrière», «Spécial 50 ans», se déroulera du 4 au 12 avril.
De quoi se mettre des étoiles plein les yeux!
Bon anniversaire la Cinémathèque!
E.Fabre-Maigné
La Cinémathèque de Toulouse, 69 rue du Taur
www.lacinemathequedetoulouse.com
*Une chambre claire (« camera lucida ») est un dispositif optique utilisé comme aide au dessin par les artistes et breveté en 1806 par William Hyde Wollaston. Ce procédé effectue une superposition optique du sujet à dessiner et de la surface où doit être reporté le dessin. L’artiste utilise cette superposition pour placer des points clés du sujet à reproduire, ou même ses grandes lignes. La perspective est reproduite de façon parfaite, sans construction. Le prisme incluant une surface à 45°, l’image est inversée comme avec un miroir…
« La Chambre Claire : Note sur la photographie » est un livre de Roland Barthes, publié en 1980, dans lequel celui-ci s’interroge sur la nature et l’essence de la photographie: la chambre claire, par opposition à la chambre noire où l’on développe la photo, est un éclaircissement, une philosophie…
** Il faut absolument aller voir l’excellent film de Stephen Frears, Philoménia, où elle est remarquable.