Première pièce du Sicilien Spiro Scimone, « Nunzio » est jouée en appartement et au Théâtre Sorano, par Olivier Jeannelle et Denis Rey.
> LA GENÈSE
Comédien de la compagnie L’Émetteur, Olivier Jeannelle met en scène « Nunzio » de Spiro Scimone. La pièce est à partager comme un bon plat de pâtes, lors des représentations au Théâtre Sorano ou en appartement, au choix… Premier texte de l’auteur sicilien, « Nunzio » attendait patiemment dans la bibliothèque d’Olivier Jeannelle, lorsque Ghislaine Gouby, directrice des théâtres Sorano et Jules-Julien — en compagnonnage avec l’Émetteur depuis la saison dernière — lui proposa de «porter le théâtre hors les mur». Huis clos entre deux personnages, la pièce se révèle alors idéale par sa capacité à s’adapter à des lieux divers. L’équipe de L’Émetteur est ravie : jouer chez des particuliers ou dans des lieux publics correspond à l’esprit engagé de cette compagnie qui a pour habitude d’assurer des missions de formation et de sensibilisation dans les lycées, auprès de structures associatives ou en milieu carcéral. «J’aime l’idée que quiconque puisse attraper quelque chose dans un spectacle, qu’une pièce soit comme un tiroir à ouvrir», explique Olivier Jeannelle. Le spectacle se décline en trois versions : en mode bi-frontal au théâtre, en appartement et en milieu scolaire. Avec pour chacune une mise en scène à géométrie variable, mais avec toujours une scénographie épurée et un rapport intimiste avec le spectateur. « Cette invitation du théâtre chez les gens inverse l’acte théâtral, c’est à nous de nous approprier ces espaces inconnus», confie le comédien. «Nous avons expérimenté « Nunzio » dans un bar de village, lors d’une résidence dans l’Aveyron. La rencontre avec ses habitants qui n’avaient pour la plupart jamais été au théâtre a été magique. La proximité avec le public, le réalisme de notre jeu, le rapport cinématographique à l’espace ont généré un échange mutuel très fort.»
> UN THÉÂTRE UNIVERSEL
«Si ce texte touche autant les spectateurs, c’est parce qu’il propose une rencontre avec des anti-héros évoluant dans un monde hostile, dans une société qui considère l’humain comme une variable d’ajustement. Nunzio et Pino sont deux exilés économiques qui, condamnés par l’économie de marché, construisent eux-mêmes un îlot de solidarité et de fraternité. Je pense que plus les thèmes abordés par Spiro Scimone sont ancrés dans sa Sicile originelle, plus ils se rapprochent de l’universel. Bien sûr, la croyance en l’église catholique y est plus forte et la mafia — même si elle n’est jamais nommée comme telle — omniprésente. Mais reste que la déliquescence d’un paysage économique rongé par la crise y est identique à la nôtre, et ces deux personnages fragiles, touchants, qui fabriquent des repères nouveaux pour ne pas perdre pied dans l’absurde, nous tendent un miroir d’humanité». De création en création, L’Émetteur creuse ainsi le sillon d’un théâtre politique. La compagnie se reconnaît dans l’univers de Scimone, où l’individu est en lutte contre l’oppression systémique : «Nous choisissons des auteurs qui remettent en cause un système coercitif, qu’il soit religieux, social ou économique, comme pour « la Secrète Obscénité de tous les jours »(1) ou « Looking for B. »(2)»
« Nunzio » nous fait partager une tranche de vie, celle de deux hommes ayant besoin l’un de l’autre face à la précarité de l’existence. Pour ces êtres sans grade, taiseux, un peu bourrus, l’auteur invente une poésie du réel : une langue sèche, mais ouvrant des paysages emplis de tendresse, d’humour, de dérision et de pudeur. On pense parfois à Harold Pinter et à Samuel Beckett pour les situations absurdes. «Je ne suis pas metteur en scène, j’ai besoin d’un support texte et cette écriture scénique est au service des acteurs, elle est un matériau dont je peux me saisir. Ainsi, à partir de ce texte, du fond abordé, je peux décider de l’esthétique du spectacle, de sa forme la plus appropriée.»
> DES ACTEURS-PERSONNAGES
«Puisque le dispositif théâtral nous plonge au cœur de l’intimité de l’appartement de Nunzio et de Pino, notre jeu devait être naturel, minimaliste, emprunté au réalisme italien. On nous verra cuisiner des pâtes à la sauce tomate, boire du café et fumer de « vraies » cigarettes. La frontière entre acteurs et personnages est ici très ténue», confie l’acteur de Pino. Denis Rey, avec qui Oliver Jeannelle a partagé l’affiche de plusieurs spectacles, s’est imposé naturellement. «Denis est un acteur précis, curieux, travailleur. Il a une grâce et une humanité infernales, et une absence totale de revendication d’ego qui permet de passer directement à l’action! Nunzio, le contemplatif, c’est lui». Pour aborder la pièce, Olivier Jeannelle s’est plongé dans nombre de livres et de films traitant de la mafia, mais a revu aussi des films de Cassavetes, comme « Husbands », dans lesquels l’amitié virile peine à s’exprimer. Des films en noir et blanc que le spectacle tentera de recréer par des éclairages aux tonalités grises, bistres. Assurément, « Nunzio » sera une expérience de tous les sens.
Sarah Authesserre
une chronique du mensuel Intramuros
Mardi 4 et mercredi 5 février, en appartement ; du jeudi 6 au samedi 8 février, 20h00, au Théâtre Sorano, 35, allées Jules-Guesde, Toulouse.
Tél. 05 81 91 79 19.
(1) Pièce de Marco-Antonio de la Parra
(2) D’après Charles Baudelaire
© photos : Benoit Chatellier -Le Brigadier