Plutôt rarement représenté en France, mais en net progrès, l’opéra le plus connu d’Engelbert Humperdinck, créé le 23 décembre 1893 à Weimar, jouit en revanche d’une plus grande popularité dans les pays germaniques et, dans sa traduction anglaise, sur les scènes des Etats-Unis. Il est donc à l’affiche, et c’est tant mieux, du Théâtre du Capitole à partir du 22 décembre, sous la baguette de Claus Peter Flor, un habitué des estrades toulousaines, et dans un spectacle confié au metteur en scène Andreas Baesler. C’est une nouvelle production du Capitole et du Staatstheater de Nuremberg.
Il faut remonter, semble-t-il, à la saison 1900-01 pour trouver trace de cet opéra dans la fameuse “salle dorée“ du théâtre, ainsi appelée à partir de 1880 car couverte d’or !!! or vieux, or jaune, or vert, de l’or partout ou presque ! La réussite pour la création ne fut pas au rendez-vous : un “bide“, tout comme la même saison pour La Surprise de l’amour du nîmois Ferdinand Poise, que tout un chacun connaît. Heureusement, chanté et parlé, ce conte lyrique en trois actes et cinq tableaux a fait carrière ailleurs, un incroyable et durable succès. On remercie la production de le donner adapté en langue française par Catulle Mendès, et surtitré en français toujours.
Pour la petite histoire, Humperdinck a vingt-sept ans lorsqu’il devient l’assistant de Richard Wagner à Bayreuth en 1881. Il reste deux ans à vivre au Maître, deux ans d’une intense collaboration artistique sur Parsifal qui marqueront à jamais la vie et le style du futur compositeur. Wagner décédé, son disciple part voyager et enseigner à travers l’Europe, véritable Wanderer qui se posera à Berlin pour devenir un professeur renommé.
Hänsen et Gretel est l’une de ces œuvres singulières qui accumulent les paradoxes : consacrée par la postérité comme le chef-d’œuvre de son auteur, mais reposant, pour une bonne part sur des chansons populaires (“Kinderlieder“ ou “Volkslieder“) fidèlement retranscrites, elle allie l’apparition du livret le plus “enfantin“ et les sophistications de l’orchestre les plus avancées. Elevée au rang d’institution dans les pays germaniques et anglo-saxons, elle est en revanche encore largement boudée dans les contrées plus latines pour des raisons difficilement compréhensibles. Des cuivres, des vents, des cordes ! la partition pour orchestre généreux se révèle pourtant lumineuse, accessible à tous, offrant des charmes immédiats, et relativement brève.
D’une qualité littéraire reconnue, le livret est de la plume de sa sœur Adelheid Wette, d’après le conte des frères Grimm. C’est elle qui demande à son frère Engelbert de composer une musique pour un spectacle pour enfants qu’elle destine à l’anniversaire de son mari. Elle va édulcorer un peu le conte puisque la partie consacrée à la méchante sorcière qui attire les enfants dans sa maison en pain d’épices pour les dévorer est réduite en effet au dernier tiers du Märchenoper (Opéra féerique). Les éléments les plus cruels et obscurs du conte des frères Grimm sont éliminés tandis que des dialogues savoureux sont introduits ainsi que de nouveaux personnages et nouvelles situations plus en rapport avec le côté féerique.
Mais, les composantes de l’œuvre elle-même peuvent rendre difficiles l’interprétation car, quel style, d’abord, convient-il de donner à cette musique ? Faut-il y voir l’ouvrage d’un “descendant de Richard Wagner – voir la chevauchée des sorcières ! – ou bien une création “post-wagnérienne“, et donc beaucoup plus légère, et qui aurait donc suscité l’admiration fidèle et enthousiaste d’un autre Richard…Strauss ? Qui n’aura de cesse de remercier le compositeur d’avoir écrit quelque chose de « si original et si authentiquement allemand ». « Quel humour sympathique, quelles mélodies charmantes et ingénues, quel art et quelle délicatesse dans la manière de traiter l’orchestre, et quelle perfection sous tous les angles, quelle invention si florissante, quelle merveilleuse polyphonie, et tout si… » Le choix du chef Claus Peter Flor sera déterminant.
Ensuite, comment faut-il caractériser les personnages ? Sont-ils des créatures enfantines, et jouant pour des enfants, ou des chanteurs d’opéras s’adressant à des adultes ?
Si le sujet paraît donc léger, ce n’est pas pour autant que l’équilibre est facile à trouver pour faire donner à l’œuvre, ce qu’elle a de meilleur et d’unique, à savoir : la faculté de s’émerveiller et d’accepter tout le pouvoir magique de cette féerie, mais aussi de faire servir un art savant à une ferveur “naïve“ qui peut aussi atteindre à une véritable grandeur. On pourra repérer, la fin du second tableau avec la prière des deux héros et la pantomime qui voit la descente des anges gardiens – dépouillement, humilité, dimension mystique pour la cérémonie du Graal d’Humperdinck ?? – et la conclusion de l’ouvrage, avec la jubilation des enfants délivrés de la sorcière et la tonalité franchement religieuse du finale. On n’est plus véritablement, dans le simple divertissement.
Les wagnérophiles acharnés essaieront de retrouver quelques réminiscences de La Walkyrie, Siegfreid, Parsifal, Ouverture des Maîtres Chanteurs.
La distribution ? Beaucoup plus délicate à déterminer que l’on peut imaginer. D’abord, il faut un accord parfait entre les voix des deux principaux protagonistes, Hänsel et Gretel, la mezzo du premier, Silvia de La Muela et le soprano de la seconde, Vannina Santoni. Jeannette Fischer, excellente comédienne et toujours en voix, sera La Sorcière Grignotte. Ce rôle est trop souvent dévolu à une voix usée. Bien plus riche et subtil qu’il n’y paraît, le rôle de composition du Père, Pierre, ne pouvait qu’être endossé par… Jean-Philippe Laffont car, comment être à la fois badin et charmeur, légèrement ivre mais sans vulgarité, irrésistible dans la scène finale ?
Pas facile pour la Mère, Gertrude, ici, la mezzo Diana Montague. Le personnage n’est guère séducteur. Méchante ? Malheureuse ? Colérique ? Déchirée ? Une mauvaise mère, oui, mais pas hystérique, ni criante. Marchand de sable et Bonhomme Rosée marchent de pair et peuvent être comme ici le même interprète, Khatouna Gadelia. Si leurs interventions sont limitées elles sont importantes pour le climat féerique. Enfin, on ne doit pas oublier le chœur d’enfants du finale dévolu à la Maîtrise du Capitole, de formation toute récente, dirigée par Alfonso Caiani.
Comme à l’habitude maintenant au Théâtre du Capitole, il faut se renseigner sur les offres de la Journée d’étude, la Conférence sur Du conte à la scène lyrique : les frères Grimm à l’opéra, Un thé à l’opéra, les Ateliers d’écoute, …
Michel Grialou
Théâtre du Capitole
Hänsel et Gretel
du 22 au 31 décembre 2013
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