Rencontre à la librairie Ombres Blanches : Marie Hélène Lafon
Mardi 3 décembre à 18 heures.
Un très grand écrivain, de l’envergure de Pierre Michon et de Pierre Bergougnoux, vient nous parler de son dernier livre Les Pays.
Marie Hélène Lafon est cet écrivain qui nous dit : « Les vaches ruminent, moi aussi. »
Et dans son lent travail d’écriture, avec l’une des plus belles langues actuelles, dense, intense, bouleversante elle nous parle de l’arrachement et l’attachement à la terre première qui s’en va. De ce monde paysan qui disparaît « à bas bruit ».
Ne rien oublier du pays premier qui disparaît, de l’univers du Cantal et de la rivière Santoire, est sa démarche. Et par des courts romans, des descriptions de la réalité paysanne en évoquant les gens, les arbres, les bêtes, les objets, les odeurs, les brumes, les enfances et les choses, Marie-Hélène Lafon dans une écriture dense et superbe, dresse un portrait sans nostalgie, mais irrigué de tendresse, de la pesanteur du monde qui aura effacé le monde rural.
Elle apporte en plus de cet univers commun de sensations et de la description du jadis, d’un monde qui fut et qui s’en va, « à bas bruit »,une approche vibrante où les odeurs, les bruits, les choses et les non-dits, forment la trame des émotions les plus intimes.
Il s’agit dans son écriture, comme d’un effleurement du monde, et les failles du silence y demeurent intactes, envahissantes.
La rudesse du pays perdu scintille d’éclats soudains, et Marie-Hélène Lafon n’est pas dans une nostalgie élégiaque. Elle restitue ses traversées intérieures, sa géographie intime entre les vallées, la rivière, la maison et la mémoire et ses greniers et le dur apprentissage des villes. Pour parler de ces gens, les siens, reclus dans le silence, elle a pris la parole et le pouvoir des mots.
Elle est vivante depuis ce pays, sa maison d’enfance, sa traversée des villes, et elle a su se créer une langue originale et forte, dense, éclatante de simplicité, elle qui a su dépasser sa condition sociale originelle. Si elle a appris à faire la bourgeoise et à ne pas faire de bruit en mangeant sa soupe, elle a aussi appris à faire du bruit en malaxant les mots.
Les pays, texte « violemment autobiographique », retracent au travers de Claire son passage sans espoir de retour, du monde du terreau, du monde premier, au monde du bitume et des livres. Cette nouvelle vie doit s’arracher par les études, la volonté, même si les codes des autres lui échappent, afin de parvenir à réussir absolument, car les filles ne peuvent s’en aller du pays que par l’école.
Et « les choses se font en se faisant », volontairement, obstinément dans la vie et dans l’œuvre de Marie-Hélène Lafon.
Acculée à la nécessité d’écrire, elle écrit, libérée par son métier de la nécessité d’en vivre, elle peut sans cesse revenir fouiller le socle de la terre, de sa terre et de la condition humaine.
Ce monde premier usé à force d’avoir été, et de continuer à être sempiternellement.
Elle qui vient d’un monde infini et minuscule, restitue la maladie du temps. Elle parle de son écriture comme d’une lutte au couteau et sait restituer les rituels de son univers, où les choses se répètent au bout du silence.
Dans Liturgie il est dit qu’il faut « pousser la neige des jours avec son ventre », et Marie-Hélène Lafon sait arracher son « droit » et ses jours avec le corps de ses mots.
Elle « ne lâche pas », elle sait ses racines, elle porte avec ténacité avec elle « son terrier ».
« Il ne fallait d’ailleurs pas faire attendre, de manière générale, dans la vie; faire sans attendre, faire mais pas attendre. » Les Pays.
Marie-Hélène Lafon refuse tout exil d’elle-même, mais par ses mots, d’une totale fidélité à l’endroit d’où elle vient, elle sait faire savoir, faire sentir. Elle a su avoir le courage de « transgresser » l’usage de la parole des mots utiles de son milieu, les valeurs familiales, pour faire œuvre d’écrivain et opérer un travail au corps à corps avec le langage. Elle aura réussi à faire une langue à partir du monde enfui et du monde présent. Elle aura édifié des romances rugueuses.
Apprendre sa nouvelle vie sans désapprendre l’autre, celle arrimée aux herbes folles, aux grands yeux humides des vaches, à l’amitié des chiens, à la belle rudesse des gens, voici son travail.
Elle écrit pour rendre compte de la pesanteur du monde. Ses romans recomposent son enfance, sa vie, ses lieux, ses milieux, ses souvenirs.
« J’écris par vocation pour une nouvelle vie ».
Venez découvrir à Ombres Blanches un immense écrivain, discret et essentiel.
Gil Pressnitzer