Maria João Pires – Antonio Meneses, piano – violoncelle
Franz Schubert : Sonate pour violoncelle et piano en la majeur D821, «Arpeggione»
Beethoven : Sonate pour piano no 17 en ré mineur, op. 31 nº 2, La tempête
Felix Mendelssohn : Lied ohne Worte, Romances sans paroles pour violoncelle et piano en ré majeur, opus 109
Johannes Brahms : Sonate pour violoncelle et piano n°1 en mi mineur, opus 38
Quand apparaît sur l’immense scène de la Halle aux Grains la silhouette menue et fragile de Maria João Pires nimbée dans sa fragilité et ses rêves intérieurs, nous savons déjà que nous allons vivre de grands moments de poésie et de temps suspendus.
Son toucher unique aérien, égrenant les notes comme des gouttes de rosée, respirant les silences, arpentant la lenteur des choses, fait d’elle une artiste unique, qu’il peut sembler vain de critiquer pour ses choix interprétatifs parfois intrigants.
Toutes les notes fleurissent en elle, glissant miraculeusement de ses doigts, comme si la musique était fontaine secrète en elle.
Elle si rare à la scène a donc voulu s’associer à un frère d’âme pour « faire de la musique au plus près de la vie ».
Elle, la lavandière du rêve, tisse une toile de beauté épurée.
Avec son complice brésilien, Antonio Meneses, ex-violoncelliste du Beaux-Arts Trio, une osmose profonde se fait, et lui adapte sa sonorité envoûtante à celle du piano. Rarement la notion de musique de chambre n’a eu plus de signification de partage. Dans une union intense, pure, aux antichambres des rêveries se déroule un voyage presque immobile, presque somnambule et d’une très grande beauté.
Chacun est à l’écoute de l’autre, son miroir, sa respiration se mêlant à la sienne propre, leurs notes s’entrelaçant. Tout est accord quasiment instinctif.
Pour effectuer cette navigation magique, toujours portée par l’ailleurs, nos deux musiciens jouent du bout des lèvres un long chant murmuré.
Et c’est à un beau parcours romantique, reprenant en partie le contenu du très récent CD, The Wigmore Hall Recital (Schubert, Mendelssohn, Brahms) où archet et clavier se répondent, se fondent, mais sans élans effrénés qui seraient parfois nécessaires.
Ainsi la sonate Arpeggione de Schubert, d’habitude pleine de tensions, est ici en apesanteur, prise très lentement, dans un long souffle. Loin du devoir obligé qu’avait du faire Schubert, on se trouve dans l’atmosphère du lied, comme à chanter sur l’eau. Tout est fluide, caressé à mi-voix, suggéré aux portes de la nuit.
Cette étrange interprétation par rapport aux interprétations habituelles est l’apothéose d’un lyrisme ardent, tendre et profond. Un grand souffle de liberté passe dans la générosité de ce voyage sur les ailes du chant. Souvent mélancolique, jamais triste, à peine passionné, le chant s’élève.
Dans la sonate La tempête de Beethoven, les deux premiers mouvements sont emplis de silences, d’attentes, d’immobilité, comme un pressentiment de Schubert. Et le dernier mouvement qui doit être une sorte de ronde hantée par une certaine folie, devient un tournoiement d’un langoureux vertige.
On ne peut que regretter que la Romance sans paroles écrite par Mendelssohn pour violoncelle et piano et non plus pour piano seul, soit si courte, tant sa beauté nous transportait.
C’est dans la première sonate violoncelle et piano que le parti prit des interprètes touche ses limites, car le côté Brahms homme du Nord, avec son âpreté est estompé dans une belle lenteur. Tout est très étiré, sans trop de tensions, ainsi le second mouvement semble être un scherzo mendelssohnien, plutôt que du Brahms. Mais de si beaux moments peuvent aussi ainsi surgir dans cette lente musique.
Et le final retrouve les accents passionnés propres à Brahms.
En bis nos deux musiciens, devant la ferveur du public, ont donné un bis : le 3e mouvement de la « Pastorale BWV 590 » Johann Sébastian Bach.
Là encore ce fut un moment de poésie intense et profonde, comme un chant d’oiseau mélancolique.
Décidément ce concert nous aura portés sur les ailes du chant.
GIL Pressnitzer
Les Grands Interprètes
concert du jeudi 28 novembre 2013
Halle aux Grains
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