Laurent Pelly met en scène « les Puritains », de Bellini, nouvelle production de l’Opéra de Paris dirigée par Michele Mariotti à l’opéra Bastille. Une représentation sera retransmise en direct dans les salles UGC.
Créé en janvier 1835 au Théâtre-Italien de Paris, « les Puritains » de Vincenzo Bellini reçut un accueil triomphal. Le compositeur raconta à ce propos quelques jours plus tard : «Tous les Français, ce soir-là, étaient devenus fous, on fit un tel bruit, on poussa de tels cris, ce fut une chose inouïe et dont Paris parle à présent avec stupeur». Un triomphe renouvelé chaque saison à Paris et à Londres, où le spectacle était repris avec une distribution toujours identique. Depuis la création de l’opéra, elle réunissait les plus grands chanteurs de l’époque : Giulia Grisi (Elvira), Giovanni Battista Rubini (Arturo), Antonio Tamburini (Riccardo), Luigi Lablache (Giorgio). Située dans l’Angleterre du XVIIe siècle, l’action se déroule après la décapitation du roi Charles Ier, à l’époque d’Oliver Cromwell. Une histoire d’amour impossible se joue sur fond de rivalités politiques entre partisans des Puritains et royalistes fidèles des Stuart. Ce fut le dernier opéra de Bellini qui trouva la mort en France – où il avait composé cet ouvrage – quelques mois plus tard.
La nouvelle production des « Puritains » à l’Opéra Bastille a été confiée à Laurent Pelly. Le metteur en scène avoue : «Ce qui me fascine dans le dernier opéra de Bellini, je crois que c’est avant tout le chant. J’ai beaucoup travaillé sur le XIXe siècle, mais plutôt sur la seconde moitié. Je n’ai jamais vraiment abordé le bel canto : ni Rossini, ni Verdi – à l’exception de « la Traviata » que j’ai mise en scène à Santa Fe. Mais « la Traviata n’est déjà plus du bel canto : c’est du théâtre. En tant que metteur en scène, ce qui m’intéresse avant tout, c’est de me servir de la forme pour raconter une histoire. Mon plus grand plaisir est de travailler au plus proche des chanteurs et des choeurs, de prendre appui sur leur interprétation pour dessiner ma mise en scène.» Sur la scène de l’Opéra Bastille, le rôle soprano d’Elvira Valton est chanté par l’italienne Maria Agresta, le ténor américain René Barbera se glisse dans la peau d’Arturo Talbot, la basse italienne Michele Pertusi interprète Sir Giorgio, et le baryton polonais Mariusz Kwiecień chante le rôle de Riccardo Forth. L’Orchestre et le chœur de l’Opéra de Paris sont dirigés par le jeune chef italien Michele Mariotti – né en 1979.
Laurent Pelly poursuit : «Je pars du principe que la musique prédomine parce que l’intrigue est étrangement construite. Sérieuse sans l’être tout à fait. Comment comprendre sinon qu’au début de la pièce, les habitants de la forteresse en liesse annoncent le mariage d’Elvira avec un homme du camp adverse sans que la jeune femme semble être au courant ? Comment comprendre qu’elle essaie son voile nuptial sur une prisonnière qu’elle ne connaît pas, qui se révèlera être la Reine et qui s’enfuira avec Arturo. Tout cela me semble davantage tenir du fantasme que de la réalité. C’est ce qui a motivé notre décision de raconter cette histoire à travers le regard subjectif d’Elvira. Tirer ce fil nous a permis de construire une dramaturgie solide, quitte à s’éloigner de la réalité historique, mais en se référant constamment à la musique. D’ailleurs, cette trame historique m’apparaît davantage comme un prétexte que comme un ressort profond du drame. Contrairement à Victor Hugo qui, lorsqu’il écrit son « Cromwell »(1), réunit une documentation considérable, interroge passionnément – à travers la figure du Lord-protecteur – son rapport au mythe napoléonien et à sa propre époque, je ne crois pas que Bellini et son librettiste Pepoli se soient réellement passionnés pour l’Angleterre du XVIIe siècle et le conflit entre Royalistes et Puritains…».
Au sujet de sa mise en scène, Laurent Pelly (photo ci-contre) explique : «L’idée était de traiter l’époque – en jouant en costumes et dans un décor historiques – tout en la revisitant : créer un univers mental, rêveur. Avec ma scénographe Chantal Thomas, nous avons imaginé un objet scénographique assez fou, à la fois pur et très complexe. Le décor représente un château anglais inspiré du XVIIe siècle, mais qui se réduirait à ses angles et à ses arêtes : une immense cage sur un plateau tournant qui enferme le personnage dans un monde rigoureux et austère, historique et irréel. Il en va de même pour les costumes, pour lesquels j’ai travaillé sur des lignes d’époque mais complètement épurées, avec des matières qui ne sont absolument pas réalistes. Nous traitons le choeur, par exemple, d’une façon très graphique. Il apparaît comme un ensemble de pions sur un grand échiquier, de silhouettes extrêmement rigides. Le monde est comme vu à travers le regard d’une Elvira en proie à la folie.»
Le metteur en scène raconte : «À certains moments du spectacle, sont projetées des images en noir et blanc, des plans rapprochés des personnages, qui nous font perdre nos repères spatiaux et contribuent à cette atmosphère cauchemardesque, cet enfermement dans l’espace mental d’Elvira. Par extension, cette idée dramaturgique me permet également d’aborder le thème du personnage féminin sacrifié, comme dans toutes les œuvres – ou presque – du XIXe siècle. Je viens de refaire « la Traviata » cet été… Manon est dans le même cas, Carmen également… Parce que ces femmes sortent de la norme, sont en quête de liberté, il y a une sorte de scandale, mais aussi d’excitation réactionnaire à les voir payer de leur vie leur désir d’émancipation. Certes, dans « les Puritains », Elvira survit, mais elle fait tout de même l’expérience de la folie. Et comme elle vit dans un univers guerrier, très masculin, au sein duquel elle tente de vivre ses désirs, je trouve que rêver la pièce à travers ses yeux a du sens.» Pour apprécier cette mise en scène, une représentation de cette production sera retransmise en France, en direct dans les salles UGC.
Laurent Pelly assure : «J’ai la conviction que c’est l’oeuvre qui doit m’imposer son esthétique. C’est pour cette raison que ma mise en scène des « Puritains » ne ressemble ni à « Giulio Cesare », ni à « l’Elixir d’amour », ni à « Platée ». Avec ma scénographe Chantal Thomas, nous n’avons aucune recette. Nous aimons toujours repartir à zéro. Bien sûr, j’ai des obsessions, et ma façon de raconter les histoires s’en ressent : je suis fasciné par l’illusion théâtrale, et cette fascination peut se retrouver d’un spectacle à l’autre. Mais ce qui m’intéresse avant tout, c’est de me laisser complètement imprégner par l’oeuvre. Il arrive que j’éprouve le besoin de transposer, de changer l’époque, de déstructurer une oeuvre, parce que nous n’avons plus les références culturelles pour la comprendre. Mais pour d’autres, je m’y refuse absolument. Je viens par exemple de remonter au Japon « l’Enfant et les sortilèges ». Quand je mets en scène un chef-d’oeuvre si dramaturgiquement et scénographiquement complexe, mon rôle est d’abord de tout faire pour qu’il « fonctionne ». Si je commence à le déstructurer, je risque de le tuer…»(2)
Jérôme Gac
Jusqu’au 19 décembre, à l’Opéra Bastille, place de la Bastille, Paris.
Tél. 08 92 89 90 90 (0,34 euros la minute depuis un poste fixe en France).
Lundi 9 décembre, 19h15, dans les salles UGC.
(1) Pièce de théâtre de Victor Hugo publiée en 1827.
(2) Entretien paru dans « En scène ! », le Journal de l’Opéra national de Paris
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photos © Andréa Messana / Opéra national de Paris