« Quai d’Orsay », un film de Bertrand Tavernier
Adapter une BD au cinéma est un exercice difficile. Les plus grands se sont pris les pieds dans le tapis de ce téméraire challenge, Spielberg inclus (Tintin en 2011). Bertrand Tavernier tente le coup avec les Chroniques diplomatiques de Lanzac et Blain (Editions Dargaud) et plus particulièrement le tome 2, celui au terme duquel notre Ministre des Affaires étrangères s’illustre avec un discours resté célèbre à la tribune des Nations Unies. De son vrai nom Antonin Baudry, Lanzac fut pendant trois ans chargé du « langage » au Quai d’Orsay sous le ministère Villepin, traduction, il lui faisait ses discours. Le film nous fait emboîter le pas d’un jeune promu de l’ENA, Arthur Vlaminck (Raphaël Personnaz), qui va se retrouver au cœur du système de politique étrangère de la France, en charge du fameux « langage ». Villepin prend ici le patronyme d’Alexandre Taillard de Worms (Thierry Lhermitte en véritable bombe, passant son temps à stabylobosser les livres)). Heureusement pour le jeune bleu, Claude Maupas, chef de cabinet, veille au grain dans cette volière où les égos ressemblent à des piles atomiques en surchauffe. C’est Niels Arestrup qui, totalement à contre-emploi dans ce rôle de bon gros minet qui en réalité tient la baraque, nous fait une démonstration sans appel des multiples facettes de son talent. Et il en faut du talent à ce vieux diplomate pour régler conjointement le problème de l’ours Cannelle, celui du hareng dans le Golfe de Gascogne, une prise d’otage au fin fond de la planète, un bateau en feu contenant des ressortissants français et l’Amérique qui veut partir en guerre au Moyen-Orient. Fou de littérature ancienne, Alexandre souhaite que les auteurs grecs, en particulier Héraclite et Démocrite, soient toujours cités dans ses discours, ce qui est parfois significativement difficile pour ce pauvre Arthur qui se reçoit beaucoup plus souvent ses copies par la figure plutôt que des compliments. Mise en scène au cordeau, montage au hachoir, texte savoureux, comédiens habiles, tout est en place pour une bonne comédie. Et c’est une bonne comédie. Mais pas plus car malgré tous ses rebondissements et ses bons mots, ses chausse-trappes et son rythme haletant, rapidement le fil de la trame du scénario apparaît et les scènes se suivent en se répétant. Trop fidèle à l’original, Bertrand Tavernier n’a pas su prendre la distance nécessaire pour faire une œuvre personnelle. Et pourtant il y avait matière !
Robert Pénavayre