DANSES NOCTURNES au Théâtre Sorano
Textes de Sylvia Plath et musique de Benjamin Britten
Charlotte Rampling Voix,
Sonia Wieder-Atherton Violoncelle
conception : Sonia Wieder-Atherton et Charlotte Rampling
Sylvia Plath, Poèmes (extraits de Ariel et autres recueils) dits en anglais et surtitrages à partir des traductions de Valerie Rouzeau.
Benjamin Britten, Suites n°2, op.80, et n°3, op. 87, pour violoncelle seul
Sonia Wieder-Atherton, avec la collaboration d’Emmanuelle Touati, a conçu une lecture musicale intense et exigeante autour de la poésie noire et désespérée de la poétesse l’américaine, compagne de Ted Hughes, et des trois suites pour violoncelle solo de Benjamin Britten, et qui se sont imposées à elle pour creuser et prolonger encore la parole de Plath.
Notons que ce 22 novembre nous célébrons encore le centième anniversaire de la naissance de ce grand compositeur anglais, qui lui ne connaissait pas la poésie de Plath, mais surtout la poésie de W.H. Auden. Pour Sonia Wieder-Atherton habitée par les mots de Sylvia Plath, il devint vite évident que la voix tourmentée et profonde de Charlotte Rampling et la musique de Britten seraient en osmose pour faire entendre avec force cette poésie.
«Sylvia Plath. Benjamin Britten. Charlotte serait Sylvia.»
Et elle ajoute : « J’ai découvert Sylvia Plath il y a des années, à l’occasion d’une pièce jouée par Delphine et Coralie Seyrig autour des lettres de Sylvia Plath à sa mère.C’est donc par sa correspondance et plus tard ses journaux, puis enfin sa poésie, que je suis entrée dans son univers.
Dans ses journaux il y a toute sa vie. Car à chaque instant de sa vie, elle écrit. Ses éblouissements, ses chutes dans le noir, ses rencontres, ses recherches inlassables.
Pour moi, lire ce journal, c’est comme sentir battre le pouls de Sylvia Plath. Le sentir s’emballer, ralentir, au quotidien. Peut-être un travail pour arriver à cette poésie qui nous fait face avec sa force fulgurante.
Sa poésie, un chant, un cri, qui bien au-delà de toute notion biographique questionne la vie. Va jusqu’à détruire pour pouvoir renaître. Éternellement renaître.
C’est cette poésie que j’ai imaginée dite par Charlotte Rampling quand est né notre désir de travailler ensemble. Bien sûr j’entendais son timbre un peu rauque, expressif, proche du violoncelle, mais surtout je sentais que porter la voix de Sylvia, cette voix solitaire et radicale, c’était pour elle. Puis j’ai eu cette intuition, Benjamin Britten. Ses suites pour violoncelle seul. Libres et puissantes. D’une telle imagination d’écriture.
Dès la première répétition, il y a eu une évidence. Comme si l’univers de Britten n’avait pas peur de celui de Plath. Sa poésie bien au-delà de toute notion biographique questionne la vie. Va jusqu’à détruire pour pouvoir renaître. Éternellement renaître », dit magnifiquement Sonia Wider-Atherton.
Pendant une heure s’entrouvre alors le noir paysage mental de Sylvia Plath, porté, exalté, par l’âpreté de la musique de Britten.
Une même vision sonore entre la voix rauque de Charlotte Rampling, et le velours âpre du violoncelle de Sonia Wider-Atherton va créer une intensité puissante et bouleversante dans ce spectacle très exigeant où tout vibre.
Deux petites rampes lumineuses, un simple pouf, des éclairages savants, et deux êtres charismatiques se répondant, creusant le silence et l’infini des mots, et cette sorte de cérémonie nocturne, nous saisit, nous bouleverse au plus profond de nous.
« Moi, d’un côté, Charlotte de l’autre, assise sur un pouf, elle commence par Lady Lazarus ». Ce texte liminaire dit entre autres ceci :
« Ça y est je l’ai encore fait. Tous les dix ans, c’est réglé, je réussis, ma peau devient aussi lumineuse qu’un abat-jour nazi. Mourir est un art, comme tout le reste. Je m’y révèle exceptionnellement douée. On dirait l’enfer tellement on jurerait que c’est vrai. On pourrait croire que j’ai la vocation. [ ] De la cendre, je surgis avec mes cheveux rouges et je dévore les hommes. Dévore les hommes, comme l’air. » (Traduction Valerie Rouzeau).
Cette simplicité, presque insoutenable, permet de laisser toute sa place aux mots et à la musique. Cette musique qui sert de prolongement et parfois se mêle à la voix d’ailleurs de Charlotte Rampling. Le choix des textes opéré par Sonia Wieder-Atherton, comprend les poèmes les plus emblématiques de Sylvie Plath : Lady Lazarus bien sûr, le terrible cri contre son père émigré allemand dans Daddy (papa), le tout dernier texte de Sylvia Plath avant son suicide en 1963, le poème Edge, The Night dances (dances nocturnes), Ariel, Letter in november (lettre de Novembre, d’autres encore et pour finir sur un message presque d’espoir, le spectacle se clôt avec le poème d’amour à Ted Hughes, Love letter (lettre d’amour).
Ces poèmes sont dits en langue originale, magnifiquement par Charlotte Rampling et des surtitres permettent de suivre la scansion des profondeurs de sa voix et de celle de Plath.
Et la voix et toutes les traces de sang de cet être singulier que fut Sylvia Plath, dans ses journaux intimes que sont ses poèmes, sont restituées avec pudeur, empathie, dans un dénuement théâtral extrême. Seuls quelques mouvements d’acteur, debout pour le début et la fin du spectacle, assis ou couché sur le pouf, un pinceau lumineux sur la violoncelliste, et des éclairages proches de la nuit, magnifient cette célébration.
Pour beaucoup cette lecture musicale aura été la révélation de la poésie de Sylvia Plath et de la musique des suites pour violoncelle de Britten, presque jamais entendues à Toulouse.
« Mourir est un art, comme tout le reste » disait Sylvia Plath, qui pourtant donnait des échardes de vie dans ses mots. Faire revivre sur scène, cette femme morte du froid des sentiments, du froid de l’hiver, en est un art aussi considérable.
« Je sais à peu près maintenant ce que j’aime et ce que je n’aime pas, mais ne me demandez pas qui je suis » (Plath).
Maintenant nous savons mieux qui était Sylvia Plath.
Merci donc à Sonia Wieder-Atherton et à Charlotte Rampling d’avoir redonné chair et âme à Sylvia Plath, elle qui était « un vent d’une telle violence », dans ce diamant noir qu’est ce spectacle bouleversant et qui se termine en espérance. Ces deux artistes dansent des « danses nocturnes » avec les papillons noirs de la nuit de Sylvia Plath, et nous donne une sorte de transcendance poétique.
De pierre au nuage, ainsi je me suis élevée.
Maintenant je ressemble à une sorte de dieu
Je flotte à travers l’air, âme tournoyante,
Aussi pure qu’un pain de glace. C’est un don.( Lettre d’amour, traduction personnelle)
Pour en conclusion donner un aperçu de la parole amère et tragique de Sylvia Plath voici son dernier poème Edge, dans une traduction personnelle :
Tout au bord (Edge)
La femme s’est accomplie
son corps mort
porte le sourire de l’accomplissement
l’illusion d’une obligation grecque
coule dans les rouleaux de sa toge
Ses nus pieds
semblent vouloir dire:
Nous sommes arrivés si loin, tout est fini.
Chaque enfant mort est enroulé, un serpent blanc,
Près de chacun une cruche de lait
maintenant vide.
Elle les a repliés contre son corps
comme les pétales
d’une rose refermée quand le jardin
se fige et que les parfums saignent
des douces, profondes, gorges de la fleur de la nuit.
La lune n’a pas à s’en désoler,
fixant le tout de sa cagoule d’os.
Elle a tant l’habitude de cela.
Sa noirceur crépite et se traîne.
Gil Pressnitzer
Pour en savoir plus sur Sylvia Plath lire Esprits Nomades