« Pour la récréation de l’esprit des amateurs ». C’est ainsi que Bach lui même définissait ses « Partitas ». Alors que ces pièces contiennent le plus haut degré de perfection d’écriture pour un clavier (originellement le clavecin) il faut un interprète hors du commun pour offrir à l’auditeur cette possibilité d’évasion des soucis, même les plus lancinants, pour ouvrir une respiration récréative bienfaisante. Dès les premières notes de la Toccata en mi mineur l’aisance de positionnement du musicien, le confort né de la vivacité digitale du pianiste font merveille. La musique savante du Cantor peut s’épanouir et offrir à l’esprit comme aux sens un intense plaisir ; celui de l’intelligence. Les deux mains indépendantes et libres s’entendent à merveilles, le toucher varié stimule toujours l’écoute. Les nuances sont très intensément creusées, les couleurs s’épanouissent. La structure est ainsi limpide. La fugue finale est enthousiasmante en sa force d’avancée tranquille et jubilatoire. Le Bach de David Fray est un monde de richesse partagée. Lors de la Partita BWV 830 la danse s’invite dès la grandeur de la Toccata assumée.
L’Allemande est d’une souplesse idéale. La Courante joue sur l’opposition de la course de la main droite aérienne et la rigueur de la main gauche terrienne. Comme des nuages qui voltigent sous des zéphires taquins alors que les courbes des collines enrichissent les ombres portées. Du grand art laissant très loin ceux qui ne présentent ici que le plaisir de l’agilité. Avec David Fray, la richesse des nuances et des couleurs permettent à l’esprit de se sentir libre, toujours face à des possibilités renouvelées. L’Air a un esprit jubilatoire dans un équilibre parfait des deux mains. La Sarabande offre un discours en forme de récitatif souple à l’aimable rhétorique baroque avec un sens des courbes discursives admirable. La Gavotte est comme déhanchée, joueuse et jubilatoire. Le Grande Gigue fuguée révèle la maestria du compositeur par les qualités de lumière et de rigueur de l’interprète qui semble faire sienne une structure si complexe. Le toucher est plein, les nuances sont subtiles révélant les divers niveaux de composition avec art. L’esprit est rassasié d’élégantes et savantes constructions, avec de nombreuses reprises, enchevêtrant le thème avec générosité. La première partie s’achève avec un brillant et un chic inimitable.
la deuxième partie sera aussi belle.
Vous l’aurez compris le son de ce Bach est riche et lumineux. Rien d’austère, de petit, de serré. La largeur des sonorités rend justice à la complexité des compositions ; à signaler une savante utilisation de la pédale qui enveloppe certains sons de halos pleins de mystères. Vraiment David Fray propose une recherche assumée au piano, pleine de respect et d’admiration pour un compositeur de musique pure et intemporelle. Le spectateur ressent une alliance comme spirituelle entre l’interprète et le compositeur à laquelle il se sent convié.
Le public a fait un très bel accueil à David Fray et sa proposition d’un Bach généreux. Deux bis permettent de revenir vers plus de calme et d’intériorité. D’abord un choral simplement adapté par Busoni « Nun komm, der Heiden Heiland » chanté avec beaucoup de délicatesse puis un extrait des scènes d’enfant de Schuman, idéal de pureté.
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Toulouse, le 13 septembre 2013. Cloitre des Jacobins. Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Toccata en mi mineur, BWV 914 ; Partita n°6 en mi mineur BWV 830 ; Toccata en ut mineur, BWV 911 ; Partita n°2 en ut mineur, BWV 826 . David Fray, piano.
Hubert Stoecklin