Si Cafarelli chantait de la sorte on comprend pourquoi les “fans“ étaient alors si nombreux et enflammés, et pourquoi même si le personnage était ce qu’on appellerait de nos jours une tête à claques, il pouvait lui être d’autant pardonné. Les 3000 spectateurs du théâtre San Carlo de Naples ne pouvaient que hurler leur enthousiasme et délirer devant de telles prouesses du castrat. Et grâce à Franco Fagioli, nous voilà transportés presque trois cents en arrière. Quelle voix ! Faisons simple, quel pied !!
Vous allez peut-être dire : encore un récital de contreténor, mais là, désolé. Après la réussite du coffret Artaserse, il fallait bien “aller voir“. Et vous l’avez deviné sans difficulté, je suis resté “scotché“ à l’écoute de cette galette. D’autant que son premier CD consacré à Haendel et Mozart ne m’avait pas enthousiasmé au-delà. Davantage celui consacré aux Canzone e Cantate. Mais avec l’Artaserse de Leonardo Vinci enregistré en septembre 2011 et celui-ci un an plus tard, les progrès me paraissent pharamineux. Où en sera-t-il fin 2013 ?! D’autre part, ce n’est pas un mince compliment si l’on est surpris, à l’écoute, de penser tout de suite à la phénoménale Cecilia, la bien nommée Bartoli. Ou, quand le timbre de la mezzo-soprano rejoint le timbre du contre-ténor. Ce dernier semble avoir puisé dans le puits sans fonds des qualités de la miraculeuse diva. Et la récolte relève du miracle.
Max-Emanuel Cencic ne s’est pas égaré en l’engageant dans son projet d’Artaserse, de même qu’il a vu juste en tant qu’executive producer de ce CD, et aussi responsable de la conception artistique.
Avant d’oublier, car participant fièrement à cette réussite, citons ce groupe de formation toute récente, Il Pomo d’Oro et son Chef et Premier violon Riccardo Minasi, avec les deux autres violons, l’alto, le violoncelle, la contrebasse, le clavecin, le hautbois, le basson, le théorbe et la guitare, cors, trompettes et timbales. Pour illustrer, écoutez en premier… la dernière ! plage, odo il suono di tromba guerriera. J’entends le son des trompettes guerrières, comme s’ils étaient cent accompagnant le chant du contreténor.
Le CD repose, comme à l’habitude, sur ce mélange bien dosé entre arias lents et arias de fureur ou d’exaltation à vocalises rapides, où le chanteur révèle, toutes les facettes de son talent. Là, ce cher Franco est vraiment stupéfiant. Rien ne semble pouvoir lui résister : trilles, roulades, ces ornements mélodiques ou gruppetti si difficiles, notes attrapées là-haut tout en haut, sauts d’intervalle, et je monte et je descends, aigus et graves magnifiques au rendez-vous. Toutes ces petites choses réunies dans une seule plage, la 3 : in braccio a mille furie. C’est sûr : à mille fureurs livrée… cela ne fait aucun doute. Mais dès la plage 1 avec des vocalises hallucinantes : fra l’orror della tempesta. C’est vraiment l’horreur de la tempête ! Stupéfiant d’entrée aussi par l’étendue vocale du grave à l’aigu. Pour ses coloratures foudroyantes, on pense constamment à Cecilia. Il vocalise exactement comme elle, mais j’ai envie de dire : et alors ? On peut être frappé par ce mimétisme, et la belle romaine n’est tout de même pas un mauvais exemple. Être soi, d’accord, mais on ne va pas modifier son timbre de voix, si cela était encore possible, pour se démarquer à tout prix de celui existant déjà.
Plage 6, c’est un aria lent de Pergolèse : lieto cosi talvolta. La voix dialogue avec le hautbois, c’est somptueux de souffle, d’articulation, de diction sans maniérisme ni coquetteries. Et vous en avez pour plus de onze minutes !!
Onze plages consacrées à des arias de Porpora le maître, mais aussi Pergolèse, Hasse, Vinci, Leo, et bien moins connus mais d’un égal bonheur, de Cafaro, Sarro et Manna. Si le charme du chant baroque vous a déjà envoûté, ce disque va vous achever. Et si vous devez trouver quelques points faibles, n’hésitez pas à me les communiquer. Qui sait, l’enthousiasme peut rendre aveugle.
Michel Grialou