L’immense Christ et les lumières bleutées des piliers, comme filtrées par des vitraux, font du théâtre une cathédrale, même si l’on n’y verra ce soir ni moine fantomatique ni inquisiteur. Verdi 1813, Britten 1913.
Même si l’éclairage en demi-salle permet de suivre sur le programme et d’apprécier les subtilités des textes magnifiées par voix et instruments, les sur-titres, très rarement proposés en concert, sont certainement les bienvenus pour le public non anglophone.
Les premières notes de Rejoice in the Lamb, chantées piano par le Chœur, s’y élèvent mystérieusement, avant de s’amplifier pour le défilé d’animaux menés par les personnages bibliques, puis de s’adoucir de nouveau, à l’écho de la harpe céleste. Le poème de Christopher Smart, à l’image de son auteur, est bizarre, extatique, fou. Deux jeunes filles de la Maîtrise (beaux graves d’Alice Ferchaud, qui évoquent le gospel) glorifient le chat Jeoffry, puis la souris, être de grande valeur. Stefano Ferrari bataille avec quelques aigus pour la louange des fleurs, le Chœur reprenant brutalement la parole pour cette évocation sans équivoque des maltraitances que subit Smart alors qu’il était interné. Du milieu du pupitre des barytons, Laurent Labarbe énonce puissamment l’alphabet de Dieu. Hommes et femmes se répondant, la pièce s’achève sur un hymne aux instruments de musique, cadavre exquis délirant et haletant qui ne retrouve son souffle que dans le dernier écho de la harpe céleste et l’hallelujah apaisé final.
La cantate Saint Nicolas doit réunir un ténor, un chœur mixte, un chœur de voix aiguës in gallery, des jeunes garçons, un orchestre à cordes, des percussions, un piano à quatre mains, un orgue ; des professionnels et des amateurs. Les enfants et les jeunes de la Maîtrise sont ainsi judicieusement placés à l’amphithéâtre, sous la direction relais de Paolo Bianchi, chef de chœur assistant. Les cordes de l’Orchestre de chambre de Toulouse sont renforcées par des étudiants tout récemment diplômés du Conservatoire. Les percussions sont réparties entre le jeune Geoffrey Saint-Léger et le vétéran Jean-Loup Vergnes. Christophe Larrieux et Élisabeth Matak-Meric se partagent le piano, Saori Sato est à l’orgue.
Une série de neuf tableaux se succèdent, évocations emphatiques de la vie de Nicolas par Eric Crozier. Une valse accueille la naissance du Saint, ponctuée par les God be glorified! que le nouveau-né aurait criés dès le saut du ventre de sa mère, chantés crânement par les deux plus jeunes garçons de la Maîtrise. Nicolas adulte est incarné par Stefano Ferrari, vaillant, combatif, qui tient admirablement ce rôle long, exposé, extrêmement difficile : ruptures de rythmes, de forces, dissonances, complexité du texte. Le Chœur est impressionnant dans le voyage en Palestine et le dialogue entre les matelots basses clamant leur frayeur et la tempête de vagues, éclairs et tonnerre évoquée par la Maîtrise in gallery est un grand moment dramatique. L’émotion est à son comble pour la légende des pickled boys : les voyageurs du Chœur crient famine et veulent manger ce plat de viande, tandis que les mères des trois garçons mis au saloir – de nouveau la Maîtrise in gallery – se désespèrent : Timothy, Mark and John are gone! Le choral final, chanté à l’unisson par la Congregation (le soliste, le Chœur, la Maîtrise redescendue de la gallery – il aurait même fallu, selon la tradition, y inviter le public), conclut l’œuvre dans une magnifique ferveur commune.
Un beau succès pour Alfonso Caiani, dont on doit saluer en particulier le travail remarquable effectué avec la Maîtrise (diction, synchronisation parfaite malgré la disposition spatiale complexe et le relais de direction) et le défi relevé par le Chœur de passer du jour au lendemain de Verdi à Britten. Le public, hélas clairsemé, est remercié de son enthousiasme par la reprise du choral All the people that on earth do dwell du tableau Nicolas comes to Myra and is chosen Bishop. L’inquisiteur pourra de nouveau hanter les lieux, mais avec moins de superbe.
Théâtre du Capitole, 26 juin 2013
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.