Incroyable comme le billet d’aujourd’hui s’est avéré difficile à débuter … Non pas que je me sois retrouvée particulièrement déstabilisée après visionnage ni que je n’ai rien à dire sur ce que j’ai vu (au contraire), mais voilà plusieurs heures que je moule devant l’écran de mon ordi en trouvant tous les prétextes possibles pour ne pas commencer à écrire une ligne valable sur le film : arrosage de fleurs qui n’en ont visiblement pas besoin, point météo tous les 1/4 d’heure (à croire que j’ai des actions dans une compagnie de crème solaire), atelier vernis (je me ronge les ongles depuis que j’en ai bon sang !!), pause – thé plus qu’il n’en faudrait et pause – pipi en conséquence, recherche des origines du mot oripeaux (il est vrai que j’avais besoin de savoir ça dans la minute) … Par moment, je me collerais bien quelques claques …
Pourtant, je peux vous assurer que cela fait plusieurs semaines que j’ai placé le nouveau film de Paolo Sorrentino au top de mes priorités tant j’avais adoré son dernier en date, This must be the place (contant l’histoire de Cheyenne, espèce d’ersatz dépressif de Robert Smith – pléonasme quand tu nous tiens – ayant connu la gloire dans les années 80 et qui, suite au décès de son père, va partir sur la piste d’un criminel nazi. Un bonheur de long – métrage que je vous conseille chaudement).
Avec La grande bellezza, on change de registre. Ici, le réalisateur va s’appliquer à nous narrer le quotidien, les égarements et les réflexions de Jeppino Gambardella, dit Jep.
Cet écrivain (à l’unique roman publié 30 ans auparavant), journaliste dans une revue d’art un peu pointue et play – boy à ses heures, est aussi connu dans le microcosme de l’intelligentsia romaine pour sa verve fameuse et son goût de la nouba jusqu’au petit matin.
Vivant en parfait hédoniste, il n’aime rien moins que disserter jusqu’à plus soif avec son groupe d’amis. Mais au lendemain d’une soirée fort animée (où il a tout de même fêté ses 75 ans), une certaine lassitude s’empare d’un Jep qui commence à se poser des questions sur le sens profond donné à sa vie. C’est le moment choisi par un autre vieux monsieur pour se présenter à sa porte et lui annoncer le décès de sa compagne (et accessoirement premier amour de notre héros).
Je vois d’ores et déjà votre sourcil droit se lever d’un air suspicieux : » Et allez ! Encore une histoire de remise en question larmoyante d’un vieux qui n’a pas su faire les bons choix !! … Pfffffff … Viens chéri(e), allons plutôt voir La grande boucle, y’a Cornillac dedans, au moins on ne sera pas déçu. «
Nooooooooooooon !! Lâchez immédiatement votre carte illimitée UGC et écoutez – moi une seconde.
Vous vous doutez bien que Paolo Sorrentino a l’habileté de ne pas verser dans un registre aussi simpliste et que La grande bellezza ne se résume pas aux jérémiades d’un vieux bonhomme. Bien sûr, le film traite des doutes d’un type, avancé dans l’âge, qui au soir de sa vie (faut vraiment que je touche deux mots au Cabrel qui tente de percer en moi …) prends conscience du chemin parcouru, de ses actes manqués et de la nécessité qu’il aurait à faire ce qui lui plaît vraiment à partir de maintenant, là, tout de suite.
Secondé par une galerie de personnages hauts en couleur (eux aussi ont un parcours de vie bien rempli et en sont au stade des bilans), Jep va tenter de comprendre ce qui lui arrive et essayer de négocier, avec l’élégance et la facétie qui le caractérise, cette nouvelle étape.
L’ambiance qui imprègne l’histoire est assez singulière. Savant mélange de poésie (il n’est pas exclu de croiser Fanny Ardant en haut d’un escalier ou de visiter un musée en pleine nuit) et de décalage (la profusion de dames mûres, replètes et autre personne de petite taille font planer un héritage très fellinien) fait baigner mon tout dans une douce atmosphère romaine un peu mélancolique mais absolument délicieuse.
Le prologue en est d’ailleurs la parfaite illustration (avec cette caméra virtuose qui virevolte à travers les jardins et fontaines de la ville) même si ce préambule est un peu plus étrange que le reste du film et en paraît d’ailleurs un peu détaché.
L’humour et le second degré sont également au rendez – vous. Évoluant dans un monde d’intellectuels, le personnage se moque en permanence d’une certaine frange de l’art contemporain. Ainsi sont mis en scène des happenings délirants : enfant colérique artiste – peintre, lanceur de couteaux – découpeur de silhouette et, mon préféré, performeuse se mettant en scène nue, la toison pubienne arborant fièrement couleurs et armoiries du drapeau communiste, fonçant droit dans un mur et s’assommant sans autre forme de procès.
Réalisation inventive, bande – son iconoclaste (les morceaux illustrant les soirées étant dignes des meilleures animations de DJ Pedro du camping municipal de Palavas – les – flots ) et jeu charismatique de Toni Servillo (tout simplement impérial) sont aussi au menu de cette balade douce – amère (Francis ! couché !!) qui va vous donner direct envie de faire vos valises pour Rome.
En vous remerciant.
Sélectionné au festival de Cannes cette année, le film en est reparti brocouille. Ceci dit on ne va pas en pleurer non plus, Paolo Sorrentino y a déjà été récompensé 2 fois pour Il Divo (prix du jury) et This must be the place (prix du jury oecuménique).