Don Carlo : noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir. Merci Verdi, car ça, c’est de l’opéra. ‹De la voix, certes, mais du cœur avant toute chose›
Vous pourrez consulter mon article annonçant cette dernière production au Théâtre du Capitole, article qui vous renseignera sur les personnages principaux, sur la trame avec les éléments qui relèvent de l’histoire à coup sûr, et les éléments qui relèvent de Schiller ! et enfin ceux qui dépendent des librettistes ou de Giuseppe Verdi.
Bilan, à chaud ! des 2 premières représentations du mardi 18 et du jeudi 20
« Et pourquoi n’ai-je pas le droit de croire que la musique est l’expression de l’amour, de la douleur ? » Giuseppe Verdi.
Evacuons d’emblée tout ce qui est mise en scène, décors, costumes et lumières dont le plus grand bien a déjà été signifié pour les premières représentations lors de la saison 2005 / 06. La production est globalement une réussite, point. Et les masses chorales furent parfaites, et tous les comprimari à la hauteur.
Nicolas Joël redonne au drame toute sa vraie dimension romantique et flamboyante. De la vaillance, de l’urgence, du cœur, on n’est pas là pour lambiner et le chef Maurizio Benini, de par sa direction au dynamisme théâtral affirmé, adhère totalement à l’idée du metteur en scène. Son soutien au plateau est permanent, sans failles. Il faut signaler tout de suite avant que je n’oublie la magnifique exécution au violoncelle de l’introduction au grand air de PhilippeII, et ce, pas évident, dès le retour d’un entr’acte fort animé. Merci Sarah Iançu. L’orchestre est au top globalement dans tous les pupitres, dans la fosse comme dans les coulisses. Des passages aux cordes furent assez somptueux.
Quand on veut bien s’attarder sur le texte, même réaction, les paroles ne sont pas là pour signifier ni langueur ni tendresse. Un seul moment un peu lumineux avec le tableau de La Chanson du voile, interprétée par la princesse Eboli.
Les protagonistes ne sont faits ni pour le bonheur, ni pour la sérénité. Don Carlo est un halluciné, plus ou moins, le visage tourmenté et la chevelure de chien fou, jeune, impétueux, à qui le père a “piqué“ sa future femme. Pas de quoi être dans la légèreté. Son chant est toujours pleinement assuré mais si le timbre peut paraître acide, un peu “vert“, quelques aigus serrés, qu’importe, il “colle“ tellement au personnage qui ne subit que des tragédies. Dimitri Pittas est Don Carlo de bout en bout. La scène de la prison n’est pas sans une certaine émotion. Et c’est une prise de rôle, un rôle bien “ingrat“, sur la scène du Capitole !
Christine Goerke est la princesse Eboli. Elle nous étonne par un chant à l’émission assez, impressionnante ! et ce, sur toute la tessiture qui lui est demandée. Elle aussi, elle chante…comme elle pense, follement amoureuse, prête à tout pour conquérir le cœur de celui qu’elle aime et qui a le tort d’en aimer une autre, hélas, la reine. Va t-on lui reprocher alors d’avoir un tel organe ? Vocalement et scéniquement, c’est le personnage, et il y a bien longtemps que l’on n’a pas entendu sur scène une Eboli aussi convaincante, même pas en disques. (Côté historique, elle était en effet borgne !) « O don fatale » fut monumental !
Sa rivale, la Reine Elizabeth, Tamar Iveri nous a gratifié d’un magnifique Tu che le vanità. Quand on sait que cet air très difficile arrive sur la fin, au bout de plus de trois heures, c’est une performance. Tout au long de l’opéra, elle a fait montre de toutes ses qualités avec une totale maîtrise, avec ce qu’il faut de puissance aux moments indispensables, nous rassurant après une Donna Anna plus difficile dans Don Juan.
Kristinn Sigmundsonn est le Grand Inquisiteur. Dans le livret, et la réalité, c’est un octogénaire, ne l’oublions pas. Sa voix de basse ne peut être celle d’un jeune premier, et le timbre de cette voix vieillissante, avec ses quelques failles, n’en est alors que plus persuasif, le duo avec la basse de Philippe II, un des sommets de l’ouvrage, dans un décor volontairement nu, se révélant plus marquant encore.
On est ravi de l’engagement de Christian Gerhaher, marquis de Posa, voix directe, projetée sans aucune difficulté, affirmant avec détermination et davantage, toute la fougue du personnage, de l’autorité à la passion amicale, capable d’asséner au roi quelques vérités qui ne doivent faire appel ni à la noblesse de ton ni à une quelconque forme d’élégance. Les valeurs à défendre ou qu’ils souhaitent défendre, doivent être assénées, même au roi. Encore une prise de rôle plus que réussie dans cette production. Et la canne n’était pas un élément prévu pour forger le personnage, mais plus un élément pour soutenir l’artiste souffrant férocement paraît-il d’un problème physique. Performance d’autant.
Couleurs, intériorité, variété des accents, Roberto Scandiuzzi – PhilippeII – sait son personnage sur le bout des doigts, le chant comme le comportement, du beau son aux gestes, délivrant un magnifique air qui nous fait penser à son avenir assuré, dans le rôle tout proche du Grand Inquisiteur qui l’attend, nouveau jalon de cette grande et sombre basse.
Il faut donc aller écouter et voir ce Don Carlo, et si possible le revoir, et si possible avoir la chance de ne pas être assis trop près d’une malheureuse qui passe son temps à se déchausser et se rechausser en raclant au mieux le parquet à l’orchestre. On pourrait lui conseiller le port des cuissardes pour être tranquilles autour ! mais ce serait pour les enfiler.
Michel Grialou
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