Chorégraphiée par John Neumeier, la Troisième symphonie de Gustav Mahler dansée par le Ballet de l’Opéra de Paris, avec l’Orchestre et le chœur de l’Opéra de Paris, la Maîtrise des Hauts-de-Seine et le Chœur d’enfants de l’Opéra de Paris, sous la direction de Simon Hewett, est retransmise dans les salles de cinéma UGC, en direct de l’opéra Bastille.
Né en 1942, John Neumeier s’illustre en tant que directeur du Ballet de Francfort en livrant sa version de « Casse-noisette » et « Roméo et Juliette » en 1971, puis « Daphnis et Chloé » l’année suivante, avant de s’approprier le « Sacre du Printemps ». Directeur du Ballet de Hambourg depuis 1973, il donne une dimension internationale à la compagnie. Respectant la tradition, il y remonte les ballets classiques tout en y insufflant une forme de discours originale. On lui doit alors « Illusions – comme ‘Le Lac des cygnes' » en 1976, puis « la Belle au bois dormant », « Don Quichotte », « Pétrouchka », « Giselle », « Sylvia » pour le Ballet de l’Opéra de Paris en 1997. Il signe une série de ballets shakespeariens dont « le Songe d’une nuit d’été » en 1977, « Othello », « Comme il vous plaira » et « VIVALDI ou la Nuit des Rois » en 1996. Ses plus célèbres créations s’inspirent de sujets et de personnages mythiques de source littéraire: « la Dame aux camélias » en 1978, « la Légende du Roi Arthur », « Un tramway nommé Désir », « Peer Gynt », « A Cinderella Story », « Ondine », « l’Odyssée », « la Mouette », « Mort à Venise », « Parzival – épisodes et écho », « Orphée », et « Liliom ».
C’est dans l’exploration de l’œuvre de Gustav Mahler qu’il trouve la matière pour déployer son art de la chorégraphie avec une profondeur et une sensibilité inégalée. John Neumeier explique : «Mes chorégraphies ont toujours un point de départ émotionnel. Elles émanent d’abord d’un sentiment qui conduit à la description de quelques scènes et qui prend progressivement corps pour constituer une histoire. Dans la musique de Mahler, j’entends très distinctement une situation contemporaine précise, par exemple quand il compose un ländler, une valse ou une marche. Cela me permet de me rattacher à une « vraie réalité ». Et soudain, il prête à ce passage une élévation nouvelle, une forme qui m’emporte irrésistiblement et suscite un mouvement dans ma sensibilité, sans réflexion de ma part. On ne peut pas parler de musique abstraite chez Mahler. Il la désigne lui-même comme une « musique animée ». Par sa musique, il nous entraîne dans des domaines qui plongent au plus profond de nous-mêmes. Il lui arrive de commencer par nous séduire par des banalités (valses, ländler, marches, etc.) qui nous plaisent, mais il en fait des ponts permettant d’accéder à un niveau métaphysique. Voilà ce qui me fascine chez Mahler».
Première d’une série de pièces sur des musiques de Mahler, la Troisième symphonie de John Neumeier a été créée en 1975 par le Ballet de Hambourg. Partition monumentale avec chœurs et soliste sur un texte de Nietzsche, ce «poème symphonique qui englobe dans une intensification progressive toutes les étapes du développement» se veut le reflet de «la création toute entière», comme le note le compositeur. Ce dernier écrit : «Cela débute par la nature inanimée pour s’intensifier jusqu’à l’amour de Dieu.» Empoignant l’intégralité de l’œuvre, le chorégraphe en a tiré un drame chorégraphique intense. Il raconte : «Ma chorégraphie est née de mon amour pour cette musique. Elle résulte du désir de traduire en mouvements les émotions et les sentiments du monde sonore intérieur de Mahler. Si le premier mouvement de la Troisième symphonie a pour thème la libération, les cinq mouvements suivants abordent sa conséquence : la liberté et la réalisation d’une utopie. En l’occurrence, le bond de la libération à la liberté ne représente qu’une expansion au sens large. Dans le premier mouvement, Mahler parle d’un arrachement progressif de la vie, de l’affranchissement de la matière. La chorégraphie du premier mouvement recourt exclusivement à des danseurs hommes, reflets des premiers êtres humains de la terre, les successeurs d’Adam. L’homme est fait de terre, il est formé en quelque sorte d’un bloc, d’une croûte terrestre en explosion et cherche par la suite à se détacher de cet assujettissement. Il est soumis aux vibrations qui l’entraînent vers la guerre et la destruction. Ce qui exige des forces antagonistes que je perçois dans ce qu’on appelle les sons de l’Anima. Ce sont les premiers signes de l’apparition d’une âme émanant des éléments, qui s’amplifie avec une subtilité croissante au fil de l’œuvre.»
Revenant sur la genèse de son œuvre dans un entretien publié par l’Opéra de Paris(1), John Neumeier confesse: «Dans un ballet sur une telle musique, le fait que les deux arts – la musique et la danse – soient des arts ouverts est déterminant ; ils autorisent une profusion d’associations. Je porte en moi des histoires poétiques que je ne peux pas raconter par des mots mais uniquement à travers la poésie de la danse. Tant qu’on trouve dans la musique la liberté de se représenter involontairement des images, cette liberté doit également exister au ballet. Avec « la Troisième symphonie de Gustav Mahler », j’ai cherché à élaborer une nouvelle dramaturgie pour la danse. Cela signifiait, en premier lieu, l’utilisation d’une œuvre symphonique pour la chorégraphie. J’avais l’intention de façonner l’action exclusivement à partir de la musique. Cela s’est évidemment fait de façon subjective, en fonction de la réaction du chorégraphe à la musique et de la nature des conflits, des relations et des figures qu’il entend dans la musique. Je me suis laissé inspirer par la structure musicale. Ce qui ne veut pas dire que je l’ai suivie formellement. Les inventions du chorégraphe ne doivent pas suivre la musique en parallèle, la reproduire note par note. Il existe des chorégraphies dont les mouvements sont complètement différents de ceux qu’établit la musique et le dialogue entre ce qui se passe et ce que j’entends fait naître une tension. De cette tension surgit une chorégraphie qui s’affirmera comme une œuvre nouvelle et qui ne sera pas seulement symphonie, pas seulement danse. C’est ce qui justifie la réalisation d’une chorégraphie sur une symphonie de Mahler. Je ne sais pas moi-même exactement comment je procède car le dernier saut dans la chorégraphie n’est pas rationnel, il est instinctif. Autrement dit, je me prépare, je connais la partition, je sais quand et pour qui Mahler l’a composée, ce qu’il a pensé, quel programme il lui a attribué avant peut-être de le rejeter, et ainsi de suite. Puis j’entre dans la salle de répétition et j’oublie tout. J’entends la musique et je me déplace sur elle. Comment je me déplace, je ne le sais pas à l’avance.»
Interprétée par le Ballet de l’Opéra national de Paris, « la Troisième symphonie de Gustav Mahler » de John Neumeier est actuellement à l’affiche de l’Opéra Bastille, avec l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra de Paris, la Maîtrise des Hauts-de-Seine et le Chœur d’enfants de l’Opéra de Paris, sous la direction de Simon Hewett. Une représentation sera retransmise en direct dans les salles de cinéma UGC.
Jérôme Gac
Jusqu’au 12 mai, à l’Opéra Bastille, place de la Bastille, Paris.
Jeudi 18 avril, 19h15, dans les salles de cinéma UGC.
(1) Paru dans « En scène !, le Journal de l’Opéra national de Paris »