Je ne manquerai pour rien (sauf impondérable de santé ou de famille) la première soirée de Zoom arrière*, ce Festival de cinéma du patrimoine organisé par la Cinémathèque de Toulouse** sous l’impulsion de la sémillante Natacha Laurent, brillante universitaire et déléguée générale de cette vénérable institution.
D’abord, parce que cela se passe rue du Taur, au cœur de la Ville rose, dans les locaux qui ont accueilli le Parti Socialiste Espagnol en exil, après la Rétirada (une plaque en témoigne entre le 69 et le 71, siège de la sympathique Cave Poésie de René Gouzenne, un autre de mes lieux de perdition comme disaient les mauvaises langues quand j’étais adolescent) ; mais aussi le Théâtre du Taur, où le directeur, Roger Portés, ancien du Français, me laissait les clés et où j’accueillais avec quelques copains, à la fin des années 60, Magma, le Théâtre du Chêne Noir d’Avignon ou des groupes anglais bien imbibés mais toujours impeccables sur scène (Caravan etc.).
Ensuite, parce que la Cinémathèque y est devenu un lieu incontournable pour les amoureux du 7ème Art : fondée en 1964 par des pionniers amoureux du Cinéma, depuis 1998 dans ses locaux actuels, elle perdure dans sa mission de conservation et de diffusion du patrimoine cinématographique. Elle réalise expositions, projections, ciné-concerts, ateliers, rencontres, colloques tout au long de l’année et accueille également des festivals et des évènements exceptionnels.
Comme disait Maurice Carême (1899-1978),
Il tombe encore des grêlons,
Mais on sait bien que c’est pour rire.
Quand les nuages se déchirent,
Le ciel écume de rayons.
Imperturbables sous l’ondée, des affiches colorées de films de Fernandel, Bourvil ou autres acteurs comiques nous accueillent dans la cour. La soirée est bien mouillée et la casquette ou le chapeau se portent bien, tandis que FR3 enregistre Marina Fois et Natacha Laurent sous leurs parapluies ; la tente est un havre abrité où après les discours de circonstance, les nombreux invités trinquent au plaisir de se retrouver avec une année de plus et de déguster, outre quelques spécialités concoctées spécialement par les élèves du Lycée professionnel hôtelier Renée Bonnet *** avec un verre de vin, des chefs-d’œuvre d’humour fort bienvenus.
Après la 6ème édition consacrée aux films censurés, celle-ci qui lui succède fort logiquement est de salubrité publique, en ces temps où le dégout le dispute à l’indignation et au découragement devant le mauvais spectacle « d’un monde qui semble courir frénétiquement, délibérément à sa perte », comme le dit mon ami Vicente Pradal.
Serge Regourd, professeur à l’Université Toulouse I Capitole, vice- président de la Cinémathèque de Toulouse, rappelle que le premier film interdit par le régime de Vichy est un un film comique, La Pension Jonas de Pierre Caron avec Pierre Larquey, pour cause « d’imbécillité », et cite Beaumarchais : « Je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer ».
Natacha Laurent insiste sur la nécessité de rire en cette période troublée, mais aussi de remonter aux origines du cinéma et de mettre en lumière sa dimension populaire ; et souligne qu’il ne manque pas de sel qu’un genre considéré comme mineur soit reconnu par une institution sérieuse.
D’après le Larousse, l’humour**** est « une forme d’esprit qui s’attache à souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité ». On dit que « le rire est le propre de l’Homme », I’on pourrait ajouter que c’est aussi une nécessité vitale et une excellente thérapie; Colette ne pouvait vivre avec des gens qui n’avaient pas le moindre sens de l’humour. Mais il ne peut se donner libre cours « qu’à la faveur d’une liberté d’esprit presque absolue » (Robert Desnos savait de quoi il parlait, lui qui a été victime du nazisme). Enfin, ce peut-être une arme politique redoutable, c’est pour cela qu’il est si mal vu par les autocrates et les régimes totalitaires, que des humoristes se retrouvent à l’asile ou dans des camps de rééducation ; ou qu’ils se suicident comme Lenny Bruce…
Dans la grande salle pleine à craquer, Le chapeau de paille d’Italie de René Clair*****, daté de 1927, vient à point nommé nous rappeler qu’il y a eu un comique français parallèlement aux icones américaines (Charlie Chaplin, Harold Lloyd, Laurel et Hardy etc.). Sur la trame de la pièce d’Eugène Labiche et Marc Michel (un vaudeville typique du second Empire, aux accents discrètement satiriques, représenté pour la première fois en 1851), René Clair a égratigné les rites sociaux (le mariage civil ou religieux, la noce, le lit nuptial baladeur) mais aussi permis à d’excellents acteurs muets, Albert Préjean, Pré fils, Alice Tissot, Paul Ollivier, Yvonneck, etc, de s’en donner à cœur joie. On peut aussi penser à des caricatures de Caran d’Ache, qu’aurait animées la verve irrésistible d’un Mack Sennett***. (Et Fernandel ne s’y est pas trompé qui voudra en faire une reprise en 1944).
Si l’ensemble a gardé une certaine raideur, la séquence du « Quadrille des lanciers » demeure un morceau de pure virtuosité, un « ballet russe de la bourgeoisie française », selon le mot de Bardèche et Brasillach, qui ne manquaient pas de culture, même s’ils furent, hélas, des collaborateurs enragés. Ce quadrille est la seule partition qui n’a pas été écrite pour 13 musiciens lors de la restauration en 1985 à la Cinémathèque Française par Raymond Alessandrini ; présent ce soir au piano, le musicien a concocté une musique primesautière, allègre et guillerette, tout à fait de circonstance qui colle parfaitement à l’action, comme si elle avait été écrite à l’origine. C’est pourtant à une véritable performance qu’il se livre pendant pratiquement toute la durée du film (85 min.).
Saluons aussi au passage la volonté de Natacha Laurent et de son équipe de commander à des musiciens de talent l’accompagnement des films muets, lors de ciné-concerts souvent mémorables. A la même heure où nous dégustons ce Chapeau de paille, au cinéma Jean Marais d’Aucamville, Jean-Luc Amestoy et Grégory Daltin, accordéonistes virtuoses accompagnent Un punch à l’estomac de Frank Capra. Et il y en aura d’autres durant ce Festival…
Le cinéma d’humour italien et américain n’est bien sûr pas oublié, ni celui venu du Nord ; ou celui, So british, souvent féroce, qui perdure dans des films comme Porc royal de Malcolm Mowbray, Full monty de Peter Cattaneo ou Joyeuses funérailles de Frank Oz ; et même dans le premier film réalisé par Dustin Hoffman, Quartet, en ce moment sur les écrans : on y retrouve certains des meilleurs comédiens britanniques, et l’on y passe du rire aux larmes.
Dans cette édition 2013 de Zoom arrière, on retrouve enfin avec bonheur les cartoons de Tex Avery qui nous permettent sans risque de retourner en enfance. Au total, on se trouve à des années-lumière d’un certain « rire » qui se dit français, qui se complait sous la ceinture, et qui remplit les zéniths. Quelle source de jouvence !
Il faut signaler enfin le Jury Jeune et le Jury ciné-concerts qui proposent aux lycéens et aux étudiants de découvrir le patrimoine cinématographique.
Non décidément,
Il pleut encore à verse
Mais on sait bien que c’est pour rire.
Le printemps est bien arrivé :
Joyeux printemps
Et santé florissante
Tout est riant
Rions aussi
Comme les heureux enfants
N’ayons nul souci
Comme l’oiseau
Qui s’ébat dans la haie
Joyeux printemps
Et santé florissante !
Précipitons-nous à la Cinémathèque !
Elrik Fabre-Maigné
5-IV-2013
* Festival Zoom arrière du 5 au 13 avril 2013
** 69 Rue du Taur 31000 Toulouse 05 62 30 30 10
www.lacinemathequedetoulouse.com/
*** Avec l’enseignante coordinatrice de l’ULIS (un dispositif accueillant des élèves en situation de handicap et suivant dans ce lycée une formation professionnelle d’agent polyvalent de restauration), ils ont monté ce projet: la réalisation d’un apéritif dînatoire pour l’inauguration du festival avec deux professeurs de cuisine et des élèves de bac pro cuisine. Pendant deux jours les élèves ont donc en travaux pratiques cuisiné et assuré le service ensemble. L’objectif c’est la reconnaissance des compétences professionnelles de ces jeunes travailleurs handicapés et leur insertion avec les autres élèves.
**** Comique : nom masculin et adjectif, du grec kômos, procession festive en l’honneur de Dionysos ; désigne ce qui provoque le rire, ce qui caractérise la comédie et le théâtre en général. Au théâtre, on distingue :
– le comique de gestes : l’effet comique est produit par l’interprétation (par exemple : mimiques, grimaces, vêtements, accessoires).
– le comique de situation : l’effet comique est produit par la situation d’un personnage dans l’histoire qui est racontée (surprises, rebondissements, coïncidences, retournements, quiproquos, etc.)
– le comique de mots : l’effet comique est produit par les paroles (jeux de mots, calembours, répétitions, etc.)
– le comique de caractère : l’effet comique est produit par la peinture des caractères (traits moraux propres à une classe d’êtres : vices, idéologiques etc.).
– le comique de mœurs : l’effet comique est produit par les usages d’une classe d’hommes ou d’une époque ; c’est la satire d’un comportement social.
***** Août 1895. Jules Fadinard, rentier de son état, est sur le point d’épouser la fille d’un gros pépiniériste, Hélène Nonancourt. Mais son cheval, facétieux, lui joue un mauvais tour : profitant d’une halte de son maître, qui caracole au bois de Vincennes, il est allé grignoter le superbe couvre-chef, en paille d’Italie, d’une dame courtisée dans un fourré par un galant militaire… Il s’ensuit une cascade d’invectives, quiproquos, contretemps, chassés-croisés, poursuites échevelées, qui mettent en émoi le prétendant affolé et tous les invités de sa noce. Un vieil oncle sourd rétablira
René Clair – qui s’était fait connaître en 1924 avec Entr’acte, un court métrage d’inspiration dadaïste – modernise le cadre, aère l’action, précipite le rythme, stylise les personnages, en bref adapte l’ouvrage aux exigences du cinéma. Esquivant les écueils de la comédie platement filmée, il dessine les contours d’une sorte de théâtre en liberté, qu’il peaufinera dans ses films parlants, du « Million » (1931) aux « Grandes Manœuvres » (1955). Il se rit des convenances, joue sur les clichés vestimentaires (gant égaré, cravates mal nouées, chaussures de cérémonie trop étroites…). Les protagonistes deviennent d’aimables marionnettes, emportées dans un ballet absurde qui évoque les courses-poursuites de l’école Pathé, les démêlés matrimoniaux de Max Linder et les burlesques américains.