La mezzo-soprano américaine a choisi de composer le programme de son récital autour des reines et princesses au destin tragique de l’opéra seria des XVII et XVIIIè siècles, les Drama Queens, que l’on peut traduire par « folle mélodramatique » ou « folle hystérique », à votre convenance ou affinité ! Ces reines outragées, trompées, qui aiment, qui trahissent, ou sont trahies, qui se vengent, qui enfin se lamentent, pleurent, meurent ou sont assassinées ou exécutées !
« Personnellement, j’ai dû batailler pour sortir de l’image charmante de la petite blonde du Kansas qui chantait plutôt bien les héroïnes de Rossini. Je voue une grande reconnaissance à Bill (William) Christie qui m’a fait confiance et m’a mis le pied à l’étrier baroque. Grâce à lui, j’ai grandi vocalement et artistiquement »
Ce récital reprend celui de son dernier CD avec le même éventail de compositeurs puisque nous allons de Monteverdi à Gluck en passant par Haendel, Cesti, Haydn, Keiser, Hasse, Giacomelli… et donc des héroïnes comme Poppea, Cleopatra, Ifigenia, Berenice, Alcina, Fredegunda, Merope,… Des pièces célèbres vont côtoyer beaucoup d’inédits d’une rare beauté, comme de splendides scènes extraites de Berenice d’Orlandini, l’Ifigenia in Aulide de Porta, ou d’Octavia de Keiser. Alterneront arias de fureur toujours empreintes de dignité et arias de mélancolie, la virtuosité allant crescendo. Elle est accompagnée par l’ensemble Il Compresso Barocco sous la direction, au Théâtre, de son Premier violon Dmitry Sinkovsky, et dans le CD par son chef attitré Alan Curtis.
Le CD a d’ailleurs été couronné d’une BRIQUE D’OR par le très haut comité artistique de Culture 31 pour l’originalité du programme de la “galette“ et pour les qualités d’interprétation de la cantatrice, qualités qui expliquent pourquoi elle est devenue artiste incontournable des plus grandes distributions d’œuvres de Mozart, Rossini, Haendel et maintenant Donizetti. Pureté absolue dans l’intonation, concentration dans l’émission se retrouvent dans toutes les arias abordées ici, soutenues par une technique sans faille, ligne et longueur du souffle faisant l’admiration de l’auditeur, tandis que son charisme instinctif et la présence sur scène devraient nous permettre d’apprécier toute son énergie et sa puissance d’expression sans sombrer dans l’excessif. Avec pour objectif à chaque fois, l’émotion.
Entre parenthèses, Joyce DiDonato a choisi avec beaucoup, beaucoup de soin sa robe de concert ! « LA ROBE AIDE À CONSTRUIRE LE PERSONNAGE » vous dit-elle. Avec une expression mutine, elle confie apporter un soin attentif à ses costumes de scène. Elle ne pouvait se glisser dans la psychologie des fastueuses Drama Queens sans soigner sa robe de concert, qu’elle promène d’Allemagne en Belgique et du Portugal au Canada, et donc jusqu’à Toulouse !
Ce sont les ateliers de Vivien Westwood, l’exubérante créatrice britannique, « reine » de la mode, qui ont imaginé cette débauche de taffetas bouillonnant rouge théâtre : une tenue superlative à géométrie variable, avec ou sans manches, avec ou sans col, avec ou sans paniers… « Au-delà du plaisir de la coquetterie, la robe aide réellement à construire les personnages, à parcourir la gamme des émotions, à passer en quelques instants de la fureur à la plainte. »
La voix charnue et le tempérament de la “diva yankee“, excellente comédienne au demeurant, n’en font pas une mezzo de plus parmi ses illustres consœurs, mais bien une pierre de plus à l’édifice de l’interprétation de tous ces opéras connus mais surtout méconnus et que des recherches poussées dans les bibliothèques les plus improbables font ressurgir avec bonheur, quelquefois.
« Pourquoi adorons-nous ces reines de tragédie ? A mon avis, pour les mêmes raisons qui font que nous aimons l’opéra : nous rêvons de franchir le seuil secret vers des émotions plus riches, plus complexes, profondément humaines et bouleversantes, auxquelles nous n’avons pas forcément accès lorsque nous sommes simplement nous-mêmes. Les folles intrigues et les situations survoltées du monde de l’opéra libèrent notre imagination souvent trop paresseuse. Nous entrons de notre plein gré dans le drame (…) La reine d’opéra baroque ne s’excuse jamais et ne dissimule rien ( sauf si cela peut lui servir, bien sûr). Elle met son cœur à nu et, grâce à une musique vocale d’une splendeur sans égale, nous autorise à faire de même. » Joyce DiDonato. Et les “accro“ comme nous, sommes tout à fait d’accord !!
Michel Grialou
Théâtre du Capitole / lundi 04 mars – 20h00