Qui va s’en plaindre ? Il y a bien en effet bousculade en ces temps de grisaille et de froidure, comme pour se réconforter. Et Odyssud fait bien partie des grands coupables.
Après La fête de la Danse puis des Danses populaires russes interprétées par le Ballet Moïsseïev, c’est au tour du théâtre visuel avec un spectacle de cirque Hans was Heiri, littéralement Jean comme Henri, ou encore “bonnet blanc, blanc bonnet“ par la troupe suisse Zimmermann & De Perrot.
C’est le fruit du regard facétieux, aiguisé et résolument décalé que les deux compères, inventeurs loufoques d’univers artistiques “dézingués“, jettent sur leurs semblables… et sur eux-mêmes. Entourés de cinq artistes venus du cirque et de la danse, jouant avec une machinerie scénique insensée, une grande roue scindée en quatre studios habités par une galerie de gentiment “timbrés“, ils vont encore une fois mêler la musique, l’acrobatie, le mime, la chorégraphie, pour développer un langage où l’humour se taille la part du lion : une forme rare, unique, ludique, festive, pour dire comme personne le monde d’aujourd’hui.
C’est du 13 au 16 février
Il n’y aura que deux représentations, le 18 et 19 février, pas une de plus pour Le Sacre du Printemps de Jean-Claude Gallota sur une musique bien sûr d’Igor Stravinski. Le chorégraphe fête ainsi les cent ans de la création orageuse en 1913 de ce chef d’œuvre absolu de l’histoire de la musique et de la danse. Les plus grands chorégraphes ont été inspirés par l’énergie primitive et païenne de cette œuvre. On ne compte plus le nombre de versions du Sacre du printemps. Il y eut celles, mémorables, de Maurice Béjart (1959) et de Pina Bausch (1975), les plus récentes et plus délurées de David Wampach, uniquement respirée, ou de Thierry Thieû Niang avec des seniors et celle, initiale, de Nijinski (1913). Cette «cérémonie païenne», comme la définit le compositeur, travaille les chorégraphes au corps. Elle martèle jusqu’à ce qu’ils rendent les armes et se voient contraints de céder à sa force tellurique.
Jean-Claude Gallotta, qui se dit hanté depuis l’adolescence par cette musique, en donne à son tour une lecture personnelle. Il a choisi la partition de la première version de l’œuvre, dirigée et enregistrée par Igor Stravinski lui-même en 1960. Elle est tranchée, brute, puisant son inspiration dans les forces vives des entrailles telluriques qui accouchent du printemps. Il construit une chorégraphie pleine de maturité et de vivacité, fortement rattachée à la terre. . Avec ses danseurs aussi charnels et explosifs que la musique, il nous emporte vers des ombres sensuelles, des corps tourmentés, des éveils interdits, des émois inexpliqués, des palpitations troublantes. Il nous fait traverser le temps par ses citations et ses références. Avec une particularité. Il n’y pas cette fois de danseuse « élue », chacune sera tour à tour « éligible » pour répondre à l’obscur pouvoir des dieux.
Le Sacre même est précédé par Tumulte, où les danseurs se meuvent dans le silence et la quasi-obscurité, alors que le cri d’une femme a déchiré la nuit. Suit Pour Igor, où le chorégraphe tutoie et apostrophe Igor comme si c’était un vieux pote, tandis que l’ensemble des treize danseurs (un nombre impair interdisant toute tentative durable de couple) apparaît couché, aligné sur le devant du plateau, avant que la musique ne jaillisse. Pas vraiment de décor, seulement des chaises d’écoliers comme on en vit dans la Classe morte, de Tadeusz Kantor, souvenir d’enfance de Jean-Claude Gallotta lui-même qui découvrit Stravinski à l’internat.
Michel Grialou