Masurca Fogo (mazurka de feu)
Mise en scène et chorégraphie Pina Bausch / Avec Regina Advento / Ruth Amarante / Silvia Farias Heredia / Pablo Aran Gimeno / Rainer Behr/ Andrey Berezin / Ales Cucek / Ditta Miranda Jasjfi / Daphnis Kokkinos / Eddie Martinez / Dominique Mercy / Cristiana Morganti / Nazareth Panadero / Jorge Puerta Armenta / Azusa Seyama / Julie Shanahan / Michael Strecker / Fernando Suels / Mendoza / Aida Vainieri / Anna Wehsarg.
Masurca Fogo est une chorégraphie de Pina Bausch, créé en 1998. Inspirée par la ville de Lisbonne, où la troupe de Pina Bausch fut longtemps en résidence, et qui fut aussi le lieu de la création du spectacle, elle traduit la fascination que cette ville exercera sur Pina Bausch.
Loin des pensées obscures qui l’habitaient souvent, de l’expressionnisme parfois violent qui traverse ses autres chorégraphies, les forces de vie et d’amour qui émanent de cette ville ont métamorphosé le regard de Pina Bausch, qui a voulu faire une chorégraphie heureuse et apportant l’amour aux spectateurs et sans doute à sa troupe.
Voulant sortir de son univers enclos de son Tanztheater de Wüppertal, de ses confrontations de couple et l’incompréhension entre les êtres, elle a voulu rendre vibrantes toutes les palpitations qu’elle a reçues de cette ville. En une série de tableaux sans lien entre eux, elle restitue un univers charnel, sexuel parfois, drôle avec bien des gags qui font pencher le spectacle beaucoup plus du côté du spectacle musical que de la danse pure. Mais Pina Bausch a toujours voulu dépasser la danse pure.
L’archétype de cette volonté, sa symbolique forte et que les danseurs vont évoluer sur ses épluchures de pastèque et non plus sur des œillets comme dans Nelken, une de ses plus belles chorégraphies.
Fascinée par la musique populaire cap-verdienne et ses mornas, par le fado, par le rituel autour de la cuisine, de la force de l’océan qui roule les corps et les nymphettes, Pina Bausch semble heureuse de donner à sentir les pulsions profondes de la vie.
Le décor unique d’un seul rocher suffit pour libérer son imagination.
Aussi elle va dans la dérision, avec la première apparition d’une danseuse qui lui ressemble fort et qui émet des cris fort suggestifs au travers d’un micro et où les chaises sont porteuses d’orgasmes.
Bien sûr on peut retrouver des éléments de ses anciens ballets, sa fascination pour les jeux de couples et de groupe, pour l’eau, et que de batailles d’eau dans ce ballet. L’utilisation de la vidéo permet d’entrevoir un concours de bal au Cap-Vert, les paysages de Lisbonne vue du funiculaire, la mer déchaînée ou sensuelle.
Mais ici la nostalgie n’est que fugitive et l’humour parfois décapant, mais toujours tendre. D’ailleurs la longue fin du ballet, trop longue d’ailleurs, tombe dans une naïveté désarmante avec l’éclosion de cent fleurs comme message d’amour. Rire et larmes furtives se mélangent.
Ainsi sur ce décor de bord de mer où l’on passe ironiquement de fausses sirènes, ou de femmes en maillot, en une danse lente et groupée de toute la troupe très belle et prenante, triste aussi comme l’est le fado.
La musique est omniprésente avec les voix de Misia, Amalia Rodriguez, Cesaria Evora, Lise Ekdahl, K.D Lang, Alfredo Marceneiro, des musiques brésiliennes sensuelles, du jazz et mille autres sons et bruits. Ce ballet de la maturité de Pina Bausch veut englober tous les sons, toute la tendresse du monde. Aussi les spectateurs fidèles de Pina Bausch ont dû être fort déconcertés avant de pouvoir rentrer dans ce monde humaniste et plein de rires. Oui Pina Bausch n’était pas que cet être sombre et torturé, et le rire de Pina Bausch n’est pas un contre-pied, mais un hymne à l’amour, à l’humanité.
Sa troupe toujours imprégnée de sa présence, et qui la fait revivre avec foi et énergie est donc aussi une troupe d’acteurs, autant que de merveilleux danseurs.
On frôle le cirque de sketch en sketch, mais en filigrane les mouvements de danse sont somptueux, et l’on retrouve le vocabulaire gestuel de Pina Bausch. Mais la technique se veut masquée et ne contribuer qu’à ce cri d’amour. Volant vers la fin de sa vie de ville en ville, Palerme, Madrid, Los Angeles, Hong-Kong, c’est avec le spectacle dédié à Lisbonne que Pina Bausch retrouve le mieux les racines et les forces de tout un peuple du Cap-Vert au Portugal.
Tout remue, tout se moque de soi-même et de l’autre, tout est sensualité exacerbée et vie communautaire comme cette belle construction de la cabane où la troupe va s’entasser pour danser corps à corps. Ce n’est pas un journal de voyage, mais une déclaration d’amour au Portugal certes, mais avant tout à la vie.
Quinze après la même joie ludique nous emportent comme elle emporte toute la troupe. Aussi à part signaler la présence féline d’une danseuse métisse extraordinaire, il ne s’agit pas de juger chorégraphiquement ce qui n’est pas un ballet, mais une boule d’amour, où chaque danseur est inspiré et débordant d’énergie et de don de soi.
Ce théâtre-danse nous surprend, mais il ne nous fait pas oublier les illuminations de Café Müller, Nelken, Kontakhof avec ces seniors stupéfiants, Le Sacre du Printemps, Walzer, Orphée et Euridyce…
Quelques années après sa disparition Pina Bausch continue à nous surprendre avec ses vidéo-clips, ses fleurs géantes très nunuches qui n’en finissent pas d’éclore, ses cartes postales répétitives et exotiques, son music-hall débridé, son passage incessant du solo au chœur, du drôle aux images très fortes.
Et pourquoi pas ?
Et il demeure plus que les gags, ce sont des images poétiques comme ses danses lentes en groupe, ses corps enlacés sur la plage, la danse sacrale de l’éblouissante métisse.
Le sourire de Pina Bausch vaut celui de Mona Lisa.
Gil Pressnitzer