dimanche 13 janvier 2013
Marc Coppey violoncelle solo
J.S Bach suite n° 1 pour violoncelle seul BWV 1007
Gaspard Cassado suite pour violoncelle seul
Zoltan Kodaly Sonate op.8 pour violoncelle seul
Pour ce cinquième concert, et déjà le premier anniversaire du cycle, à la campagne dans le site splendide de l’Orangerie de Rochemontès dans ses habits d’hiver, Catherine Kauffman-Saint-Martin, notre merveilleuse et intrépide « folle de musique » avait invité le très grand violoncelliste Marc Coppey.
À la fois soliste international et longtemps membre du Quatuor Ysaÿe, qui hélas se dissoudra en 2014 après 30 ans d’émotion. Mais Marc Coppey nous reste et il nous a offert un programme rare et ambitieux qui magnifie son instrument. D’abord en portique d’entrée la première suite pour Bach dont le prélude sert de bis aux violoncellistes dans de nombreux concerts, et cette suite est le monument inaltérable auquel s’affronte un jour ou l’autre tout soliste.
Cette première suite de Bach comporte sept mouvements de danses transfigurées en méditation certes, mais il ne faut pas perdre ce balancement intérieur qu’a voulu Bach en empruntant aux formes françaises et allemandes.
Prélude, Allemande, Courante, Sarabande, Menuet 1, Menuet 2 et enfin Gigue conclusive, structurent ce portique d’entrée à la somme des Suites de Bach. Marc Coppey délaisse l’approche romantique sans aller toutefois dans la relative sécheresse des interprétations baroques. Son violoncelle suit les courbes de l’imagination de Bach, avec une tension constante, sans relâchement, et ne se pâmant pas en route.
Puis Marc Coppey, intelligemment, effectue une mise en regard de cette première Suite pour violoncelle seul de J.S Bach avec la suite également pour violoncelle seul de Gaspard Cassado, surtout connu comme un très éminent violoncelliste, élève de Pablo Casals pour le violoncelle et de Maurice Ravel pour la composition.
Pour son instrument il a composé un concerto en 1926 et cette sonate à la même époque. Elle est aussi très virtuose et comme Albéniz pour le piano un passage inspiré et lumineux vers la lumière de l’Espagne.
Sa sonate d’environ 15 minutes se souvient bien sûr de Bach, et aussi de la sonate de Kodaly.
Elle comprend trois mouvements :
Préludio-Fantasia ;
Sardane ;
Intermezzo et danse finale-Jota,
Elle se laisse aller à des rêveries évoquant sa chère terre catalane avec une sardane très terrienne comme deuxième mouvement, et une vigoureuse jota, danse aragonaise qui se met peu à peu en place dans les parfums du soir, et qui sert de final avec de grandes vagues de coup d’archet.
Janos Starker adorait la jouer, et il le faisait à une vitesse prodigieuse, trop sans doute, laissant de côté les charmes de la Catalogne, alors que Coppey nous fait déguster tous les fruits de cette musique. Et d’ailleurs pendant tout ce récital de Marc Coppey on pense aussi au maître hongrois, sans ses excès, qui avait le même répertoire et la même profondeur de sons. Ce n’est pas étonnant, car il fut son maître.
Et surtout Coppey s’attaque à l’Himalaya pour tout violoncelliste, la Sonate op.8 en si mineur de Zoltan Kodaly, d’une difficulté à la hauteur de sa musicalité, donc immense.
Cette sonate fut composée en 1915, donc contemporaine à peu près du Château de Barbe-Bleue et du Prince de Bois de son ami Bartók, avec qui il se livrait déjà à l’ethnomusicologie. Donc des airs de musique populaire irriguent sa musique. Et sous son aspect classique en trois mouvements, cette sonate est une véritable révolution dans ce répertoire, et même pour la musique. Comme le dit Mac Coppey cette œuvre est un mystère de composition.
Kodaly n’était que violoncelliste amateur, mais il a tout compris, et bien au-delà, des potentialités et des sons inouïs que l’on peut en tirer.
Les trois mouvements sont :
Allegro maestoso ma appassionato
Adagio (con grand’espressione)
Allegro molto vivace
Cette sonate présente outre le fait de nouvelles façons de faire résonner cet instrument, par les attaques des cordes, la particularité d’être accordé spécifiquement (le do est abaissé au si permettant des effets d’arpèges incroyables). Elle dure presque une demi-heure, temps plein de sonorités comme des plaintes allant du grave à l’aigu, parfois simultanément. C’est une sonate des sons graves du violoncelle avec des plongées dans l’aigu. Marc Coppey y voit des réminiscences de Liszt et de Richard Strauss. Nous plutôt les traces du folklore hongrois et surtout des quatuors 1 (1909) et 2 (1915).
Dès son premier mouvement ample et lyrique, le son magnifique de Marc Coppey tisse une atmosphère mystérieuse et il semble nous raconter un conte des temps jadis, ondoyant et grave comme une douleur d’autrefois. Souvent joué trop vite, ce mouvement retrouve sous l’archet de Marc Coppey toute sa poésie et dès les premières notes arrachées vigoureusement au silence, une dramaturgie se met en place qui se dissout dans le silence. Dès la première attaque des notes graves, presque râpeuses, le ton est donné. La suite plus lyrique semble une rapsodie rêveuse.
Le deuxième mouvement est une méditation sonore qui monte peu à peu avec toujours ses larges traits rugueux de l’archet. Il semble s’agir mélopée intemporelle lente et grave. La partie centrale est plus interrogative et se termine les cordes à vide, car tout a été dit.
Le troisième mouvement allegro, le plus long, est celui d’une danse populaire de recrutement, (Verbunkos), et elle fleure bon la rude campagne, ses danses qui trépignent entre ivresse et mâle exaltation, avec ses mélopées qui passent très ancrées dans les auberges, et dans les piétinements des conscrits, des chants d’oiseaux qui pépient passent aussi. Des pizzicati et des notes frappées comme au cymbalum terminent cette ronde villageoise.
En bis, après avoir réaccorder de façon normale son instrument, Marc Coppey donnera Le Chant des oiseaux, mélodie catalane si chère à Pablo Casals, et la Sarabande de la sixième suite pour violoncelle de Bach.
Longue vie donc aux rencontres musicales et conviviales de l’Orangerie de Rochemontès !
Gil Pressnitzer