Au Théâtre Garonne, le spectacle-performance de Céline Astrié, « Je suis homme né (…) », creuse la question de notre humanité dans une forme qui prend corps dans la matrice politique et poétique du théâtre.
Nanaqui, le nom de sa compagnie est aussi celui du surnom d’Antonin Artaud sur lequel elle a commencé à travailler il y a dix ans. C’était avec « Automythographie », premier spectacle créé au théâtre de la Digue en 2002, autour du tome XIV de ses œuvres complètes. « Le théâtre et son double » a été déterminant dans le travail de recherche théâtral de Céline Astrié. Dans sa compagnie : pas de mise en scène de textes du répertoire, pas de message, pas de récit narratif. Son travail nourri de philosophie s’assimile davantage à la performance. Céline Astrié conçoit le plateau de théâtre comme « un lieu réfractaire, face auquel il lui faut se repositionner à chaque création ». C’est d’ailleurs ce qui la conduit à monter des spectacles, toujours dans une forme minimaliste, dans des galeries d’art ou des appartements. « Le théâtre est un lieu politique. Le juste exercice théâtral aujourd’hui doit relancer la pensée. Il doit être libre, ouvert, et non didactique. Il se fait dans l’acte, sur son corps».
L’écriture de son mémoire sur « Genesi », – l’une des premières pièces très polémique de Romeo Castellucci, dans la lignée du théâtre de la cruauté –, la fait entrer de plain-pied dans le monde du dramaturge et metteur en scène italien. Parallèlement, critique de théâtre, elle est conviée à rédiger des articles sur son projet fleuve, « Tragedia Endogonidia » : une création ouverte qui de 2002 à 2004, évoluera au fil des lieux géographiques où elle se jouera : Cesena, Berlin, Paris, Avignon… L’année suivante, elle est invitée en tant que metteuse en scène à la Biennale de Venise, où Castellucci est directeur de la section art et scène. Elle y créera « Chôra », un spectacle sur le chaos platonicien. Ses créations successives lui donnent matière à l’écriture de « In your room », un triptyque joué dans son intégralité au Ring, en 2010. Elle y poursuit son questionnement sur l’essence et la signification de l’acte théâtral. Elle y explore les questions de la communauté, des lieux de l’intimité et de l’identité : Qu’est-ce que le nom « homme » ? Ou le « non-homme » ?
Aujourd’hui, la compagnie Nanaqui investit le plateau du théâtre Garonne pour y mettre en scène l’énonciation humaine sous la forme d’une succession de tableaux épurés. Inspiré du poème de Ronsard « Je suis homme né pour mourir », « Je suis homme, né (…) » est un spectacle total, personnel et intriguant, confrontant images vidéo, textes, musiques et présences. Elle y retrouve ses comédiens ‑ essence de son travail – déjà présents dans « In your room » : Patrice Tépasso, Danielle Catala, Kaman Camara, mais aussi la metteuse en scène et comédienne Maylis Bouffartigue. « Tout le monde peut dire « Je suis homme », explique Céline Astrié, mais qu’implique aujourd’hui cette formulation ? Et que dit-elle de notre liberté, de notre manière d’habiter le monde, à l’ère de la mondialisation ? ». Cette question aussi vaste qu’essentielle du « vivre ensemble » fait l’objet d’un spectacle politique, métaphysique, qui n’en n’oublie pas d’être aussi poétique. Le poème de Ronsard, ode à la vie, à l’amour et à Bacchus, plane sur ce nouvel opus, qui nous appelle à nous rêver autre, inachevé.
Sarah Authesserre
Une chronique du mensuel Intramuros
Vendredi 18 et samedi 19 janvier, 20h00 au Théâtre Garonne, 1, avenue du Château-d’Eau, Toulouse. Tél. : 05 62 48 54 77.