« Nous sommes tous des amateurs, on ne vit jamais assez longtemps pour être autre chose », disait Charlie Chaplin.
Dans amateur, il y a aimer ; mais il y a une différence entre aimer et être amateur. Aimer est un terme général : j’aime les roses exprime que je les aime, sans ajouter à cette idée rien de particulier. Mais en être amateur indique toujours une préférence particulière et devenue, en quelque sorte, une étude : je suis amateur de roses signifie que je recherche des espèces différentes, que j’en fais collection, que je les cultive.
Aujourd’hui, je vais voir un « spectacle d’amateurs », au sens premier du terme, c’est-à-dire de « passionnés, qui ont un goût vif pour la chose artistique, qui se tiennent à mi-chemin de l’individu lambda et du professionnel, entre le profane et le virtuose, l’ignorant et le savant, le citoyen et l’homme politique ».
Précisons tout de suite qu’ils s’agit d’amatrices, entourées certes de professionnels du spectacle vivant, mais amatrices et fières de l’être, qui prennent sur leur temps de loisir pour créer leurs spectacles.
Et celles-là méritent bien une chronique.
Professionnelles, elles le sont, mais de la santé : auxiliaires de puériculture, cadre de santé, éducatrices, puéricultrices, (n’oublions pas le puériculteur) etc… issus de différentes unités de soins chargées d’accueillir, accompagner et soigner des enfants au Centre hospitalier Universitaire de Toulouse, à l’Hôpital des Enfants en particulier.
Leurs interventions au chevet de ces enfants (et depuis 2009 auprès de personnes âgées hospitalisées), ont été initiées dans le cadre de la Culture à l’Hôpital* : animées par le Chanteur lyrique Bertrad Maon**, relayées par les Educatrices de Jeunes Enfants et les Equipes de Soins, depuis plus de deux décennies, selles sont exemplaires. Car elles améliorent le bien-être psychologique des jeunes patients et les rencontres avec cet Artiste du spectacle vivant et ces Soignantes investies dans un travail choral de qualité, leur permet de mieux vivre leur hospitalisation ; mais c’est aussi une ouverture vers un art majeur commun à toutes les civilisations : le chant à plusieurs voix, avec tous ses effets bienfaisants.
Elle chantent donc des comptines de tous les pays toutes les semaines dans les chambres.
Elles ont mis en place l’association « Grand Air & P’tits Bonheurs » en 2004 pour pouvoir produire et diffuser, à titre gracieux, des contes musicaux pour les enfants et leur famille dans des lieux aussi divers que l’hôpital, mais aussi crèches, halte-garderies, écoles, maison de retraite, centres culturels etc…***
Camille, Florence, Jackie, Marjolaine et les autres ont déjà créés cinq contes musicaux :
– Toulouse à petits pas (l’histoire de Léa, une petite fille, qui découvre la ville rose auprès d’animaux aussi étranges que poétiques) ;
– Le Voyage de Yago (la découverte de différents pays au travers d’un voyage initiatique d’un perroquet) ;
– Le Blues de l’hippocampe (une sirène, du haut de son rocher, observe la vie sous marine et ses habitants, un hippocampe entre autres, triste de sa condition, à qui il arrive une aventure extraordinaire faite de magie, de rencontres et d’amitié) ;
– Solitaire et les lutins (met en scène Solitaire le loup, des lutins ouvriers et des personnages de contes traditionnels : Les trois petits cochons, Blanchette, Le petit chaperon rouge, etc.).
Terre de lune est leur cinquième.
Bertrand Maon*** assure toujours la direction musicale et Fabrice Guerin****, (comédien, chanteur, manipulateur de marionnettes etc.) la mise en scène.
Les chansons sont écrites en commun, avec le soutien de Françoise Dartigues (professeur au Comité d’action et d’entraide sociale du CNRS) à la guitare. Seul le fameux Clair de lune de Debussy est évoqué dans le répertoire si vaste sur le sujet: elles n’en ont pas besoin.
Tout est « fait maison », y compris les costumes, superbes.
Les saynètes, ayant la lune pour prétexte, son influence sur la terre, la mer, les jardins et les humains sont pleines de magie, d’humour et de poésie. La lune est une divinité tutélaire. Le soleil fait une apparition remarquée (on pense au « Roi danse », le film de Gérard Corbiau), et sa pavane avec la lune reste longtemps dans la mémoire comme la java finale des étoiles. On nage en plein onirisme dans ce spectacle tout public au sens premier du terme.
Située dans ces Quartiers Nord trop souvent stigmatisés, la salle Ernest Renan où elle jouent ce soir est une belle salle de spectacle de 230 places construite dans les années 1930, avec un balcon envahissant mais une grande ouverture de scène surmontée d’un majestueux portique comme celui d’un temple antique, qui mériterait une remise à niveau avec des gradins comme ceux de la MJC Roguet ou la Salle Nougaro. A l’origine destinée aux écoles, puis salle des fêtes, elle est le cœur depuis 7 ans d’un important travail socio-culturel sur le quartier. Le centre d’animation des Chamois propose de nombreuses activités dès 6 ans. Vous y trouverez des ateliers et sorties à faire en famille ou seulement pour votre enfant. Le centre héberge aussi différentes associations culturelles telles que Iz’art sport et culture, Pro’pause, Ne perdons pas le Nord etc. Et n’oublions pas que Zebda et les Motivés sont nés ici.
De nombreux spectacles s’y déroulent également, pour les adolescents (rock et musiques actuelles) mais aussi pour les enfants, qui sont ravis, comme ce soir.
Et c’est tout à son honneur, comme à celui du Service socioculturel de la Ville de Toulouse, d’accueillir Grand Air & P’tit Bonheur : quand des amatrices passionnées offrent ici leur dernière création, ce n’est pas innocent ; la culture et le spectacle vivant peuvent faire bouger bien des murs, en commençant par faire rêver des touts petits. Et les grands. Dans une ambiance conviviale.
Dans la nuit froide d’hiver, je regagne un peu à regret mes pénates, mais je continue de rêver sur les images de Terre de Lune, je me remémore la magnifique chanson de mon cher Léo Ferré, « Je m’appelle la lune » : Je m’appelle la lune Tous les vingt-huit du mois Je me refais une beauté au clair de terre…
E.Fabre-Maigné
Chevalier des Arts et Lettres
14-XII-2012
*La Culture à l’Hôpital se situe dans la perspective d’ouverture et d’éducation artistique, de démocratisation des œuvres de l’esprit et leur accès aux plus défavorisés, encouragés par les Ministres de la Culture successifs depuis André Malraux, en particulier Catherine Trautmann qui mit en place avec son homologue de la Santé, la Convention du même nom signée en 1999, et par Catherine Tasca.
Une des meilleures manières de remplir cette mission passe en effet par la sensibilisation des enfants dès leur plus jeune âge, c’est la meilleure manière de les aider à préparer leur avenir dans un monde qu’ils modèleront à leur tour.
A ce titre, même si les crédits ont fondu comme neige au soleil, il est important de rappeler que ce fut une action pilote en France, commencée en partenariat avec Philippe Bouteloup de l’Association Musique et Santé qui a formé les Soignantes-Chanteuses du groupe.
**Victoire de la Musique 2006 avec le Chœur de Chambre Les Eléments de Hervé Suhubiette.
***Mais aussi la réalisation, la production et la promotion de supports médias : CD, DVD de leurs spectacles, articles, livre témoignages de leurs expériences. La formation des membres du groupe. La formation musicale et vocale en directions d’artistes souhaitant intervenir à l’hôpital, de scolaires, de professionnels de structures sanitaires et sociales, socioculturelles etc….
Sont disponibles pour les soutenir un CD de chants et comptines pour enfants « Musique et Découverte », un DVD « Toulouse à Petits Pas » ; un livre « Soignants- chanteurs, un monde à plusieurs voix », publication retraçant 15 ans d’expérience associative. (Editions REPAS, collection Pratiques utopiques).
****Fabrice Guerin sera en concert le 18 janvier au Théâtre du Chapeau rouge à Toulouse avec « Les 2 maris de la femme-poisson » en compagnie de Vincent Ferrand à la contrebasse et au chant.