La nuit sera calme, texte de Romain Gary
Lecture-spectacle par Jacques Gamblin au TNT
Romain Gary adorait brouiller ses identités et les pistes qui auraient pu conduire jusqu’à son désespoir profond.
À force de perdre les gens par ses mensonges-vérités et de se perdre lui-même il rédigea en 1974 un roman La nuit sera calme, qu’il va, fidèle à sa nature profonde faite de pirouettes et de dérision très Europe Centrale, faire passer pour une véritable interview.
D’ailleurs dans ce faux dialogue, publié comme tel, le complice et ami François Bondy est un autre Émile Ajar et tout est une confession totalement écrite par Romain Gary. Et à l’approche de la vieillesse et donc de l’épuisement sexuel et amoureux, Romain Gary passe en revue, en enjolivant ou au contraire en noircissant les aspects de sa vie qu’il veut faire croire et accroire.
Malgré sa haine de la psychanalyse et de ses « œdipiades », cet éternel et tragique hâbleur va convoquer les moments de sa vie qui le hantent au crépuscule de son parcours d’illusionniste du cirque de la vie et de magicien de l’écriture. Ainsi vont venir prendre voix son enfance, sa jeunesse sans le sou à Paris, sa mère castratrice au délicieux accent russe, ses amours avec un radiateur ou avec Françoise, sa chasse effrénée des femmes et en même temps son féminisme éloquent qu’il prête même à Jésus, dans une tirade bizarre et incongrue pour un écrivain juif, dans lequel il reconnaît en lui, non pas le messie, mais l’image féminine d’un homme.
Son épopée en tant que pilote de bombardier, de diplomate, d’admirateur de De Gaulle qu’il semble vouloir être du même bois, tout cela passe dans son texte, avec humour décapant, même devant la peur de la mort, qu’il entrevoit accompagné dans la lumière seulement par un chien.
Tout est à la fois vrai et romancé. Jamais il ne parle de ses romans, parfois de ses voyages, par exemple à l’île Maurice, paradis pédophile qu’il dénonce. Pas plus qu’il ne parle de Jean Seberg.
Il ne peut même en décrivant son abjection, ne pas se poser en héros de sa vie, en acteur de sa propre légende.
« Le roman et la vie se confondent, ma vie est une narration tantôt vécue tantôt imaginée et si un journal américain m’a donné le nom de collectionneur d’âmes, c’est que je ne cesse de faire mon plein de je innombrables, par tous les pores de ma peau… ».
Et il en est bien ainsi avec ce texte, parfois sincère, parfois imaginé quand il se fait le redresseur des torts des bordels d’enfants, clamant son authenticité jamais prise en défaut, lui qui assène qu’il a horreur du mensonge, ce dont on doute grandement, sa vision supérieure et visionnaire de la politique internationale.
Oser faire une lecture-spectacle de ce texte foisonnant et délirant suppose sans doute aussi une certaine mégalomanie, ou un talent exceptionnel de comédien. Jacques Gamblin semble avoir les deux.
Il arrive à être une réincarnation plausible et crédible de Romain Gary. Simplement assis à une table, avec un éclairage constant et cru, un verre d’eau, quelques voix off, un magnétophone, et un texte dans un grand cahier à spirale, il meuble tout l’espace.
Gary veut dire « brûle ! » en russe, et il dit qu’il ne sait jamais dérober à cet ordre. Et Gamblin brûle aussi les planches.
Commençant la lecture en faisant semblant d’hésiter, de se tromper, jouant avec le magnétophone, où la voix venue d’ailleurs, il rend vraie une fausse interview, crédible des fausses confidences. Il refuse toute emphase et d’un ton sec ou plein de dérision, se permettant juste un effet d’accent russe pour dépeindre la maman possessive. Ainsi « je n’ai enfanté ma maman que très tard, à 36 ans, quand je suis né ».
Il se joue devant nous autant un numéro d’auteur qu’un numéro d’acteur.
Et certaines phrases resteront en nous : « La seule réponse à l’horreur est la danse », « Mes livres sont nourris de ce siècle. »
Je ne sais si le côté chien que revendique Romain Gary en fait vraiment « un catholique non croyant, mais nous spectateurs nous croyons en Romain Gary et en Jacques Gamblin son prophète.
Gil Pressnitzer