« Noir ».
Lumière.
C’est un défilé bruyant, mère, servantes, fils, fille, épouse, beau frère entrent, sortent, déménagent des ballots, s’interpellent, s’invectivent, parle[nt] haut. Châle, chapeau, fichu, bandana, tablier, manteau, ceinture, les tissus colorés font d’un trio d’acteurs une maisonnée entière.
Et quels acteurs ! Passant instantanément d’un personnage à un autre, Corinne Mariotto, Guillaume Destrem et Francis Azéma sont homme ou femme, maître ou servante, pour ou contre. L’impayable Dorine traverse la pièce en changeant d’interprète comme on ne change pas de tablier.
Point de robes, jabots, rubans, dentelles ou affectation ! La scène de dépit entre les deux jeunes amoureux, ce sont nos ados qui se chamaillent dans la cour du bahut : Mariane, la fille un peu cruche en mini jupe vert pomme ; Valère, le jeune bcbg ahuri et désinvolte en écharpes et chewing-gum. Incroyables justesse et modernité des alexandrins dits et joués avec les codes des d’jeuns du XXIe siècle. Drôlerie irrésistible.
Discrètement ceint de jaune, Tartuffe, comme tout grand manipulateur, avance l’air de rien, presque effacé. Et se peut-il qu’un homme ait un charme aujourd’hui / A vous faire oublier toutes choses pour lui. Le manipulateur impose son costume, Orgon arborera la même ceinture jaune. Le manipulateur prétend dédaigner la chair tout en la recherchant. Ce Tartuffe-là est d’une séduction inouïe. L’altière Elmire y succombe, prise à son propre jeu : ses coups frappés sur la table censés avertir son mari caché le sont à regrets et deviennent bien timides…
La pièce s’achève sur le triomphe de Tartuffe croisant sur sa poitrine les pans de son foulard jaune, parangon des costards cravates qui nous abusent et à qui on érige d’infernaux piédestaux.
Une chronique à retrouver sur Una Furtiva Lagrima.
Photos © Pierre Boé, Le Clou dans la planche