Rencontre avec Anne Lefèvre à l’occasion de la nouvelle création dont elle est l’auteur et l’interprète au théâtre Le Vent des Signes.
Un peu retiré de l’effervescence du quartier Saint-Cyprien, il est un théâtre qui souffle sur la scène contemporaine un vent qui fouette le sang et aère les neurones. À l’entrée, la maitresse des lieux, Anne Lefèvre, vient vous saluer et vous accueillir personnellement avant de pénétrer sur un plateau à hauteur de spectateur, à moins que ce ne soit le contraire. Au Vent des Signes, on ne fait pas semblant. Et ce sera encore le cas avec « J’ai apporté mes gravats à la déchetterie », qu’elle a écrit et performera avec ses complices « persévérants de la vie vivante ».
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Quel était le projet du Vent des Signes lors de sa création en 2003 ?
Anne Lefèvre : « J’ai toujours imaginé ce théâtre comme un lieu dédié à la fabrique, au travail de recherche et d’élaboration. Mon rêve — aussi modeste soit-il — était d’ouvrir un espace aux artistes préoccupés par l’adresse à l’autre. Je vois le théâtre comme un repas que l’on prend plaisir à préparer et que l’on a envie de partager avec des gens de bonne compagnie, des gens qui vous font du bien. »
Comment a-t-il évolué au fil des années ?
« Il a évolué à travers des rencontres d’exigence, des œuvres incarnant une pensée du monde, des écritures contemporaines. Avec toujours en ligne de mire : donner à entendre le rêve de l’autre, ce rêve qui n’est pas rentable. »
Qu’a changé la convention signée avec la ville de Toulouse en 2011 ?
« C’est un souffle! On ne se sent plus seul dans son coin. Ainsi, le Vent des Signes peut continuer à accompagner les recherches d’artistes comme celles des compagnies Lato Sensu Museum ou Tabula Rasa, dans des formes qui demandent du temps dans leur mise en œuvre. Alors, je dis merci. Merci pour ces artistes. Je suis aussi heureuse d’accueillir les élèves du premier cycle du Conservatoire, ravie d’assister au développement de ce conservatoire, de voir une vraie politique culturelle se mettre en place, amorcée par Pascal Papini. On œuvre ensemble. Je me sens apaisée. »
Comment se concrétise le projet du Vent des Signes cette saison ?
« La programmation du théâtre ne suit pas de thématique. Il s’agit d’accompagnement d’artistes, d’êtres de qualité, de fiabilité dans leur engagement au monde et avec lesquels on se choisit mutuellement sur un projet artistique. »
Cette nouvelle création, « J’ai apporté mes gravats à la déchetterie », entre-t-elle en résonance avec la précédente, « You need a coach my friend » ?
« Il ne s’agit pas d’un diptyque. Cette création procède d’une rencontre d’artistes qui depuis deux ans se reconnaissent dans leur alchimie créatrice : Enrico Clarelli, pour la création vidéo, Jacky Merit pour la performance musicale et Cyril Monteil pour la lumière. La seule résonance, c’est d’aller davantage dans le personnel et dans une esthétique encore plus poussée que pour « You need… ». Je suis porteuse de la même problématique que je décline dans chacun de mes « objets théâtraux »: l’idée qu’il faut batailler avec soi-même et avec toutes nos lâchetés qui nous gâchent la vie, la relation à soi et à l’autre. Il est essentiel de redonner sa place au bonheur et au rêve de l’autre. Sur ce nouveau spectacle, nous travaillons avec Enrico Clarelli, sur la démultiplication des points de vue, ceux des espaces physiques du lieu, de la performance des acteurs, à l’aide de captations vidéo et de vidéoprojecteurs mobiles déplacés en temps réel et à vue. Ainsi, nous cherchons à élargir, bouleverser, expérimenter nos perceptions les uns des autres, notre rapport au temps, au réel, et la complexité de notre « être ensemble ». J’ai eu envie d’écrire dès le lendemain de la dernière représentation de « You need… ». Je crois que le processus d’écriture est lié à l’expérience de plateau. Or, le plateau est un jardin et ce jardin n’est pas épuisé, il donne juste d’autres fruits à d’autres saisons. »
Quelle est la signification du titre ?
« La vie consiste à trier dans le fruit de notre vécu, ce qui fait grandir de ce qui nous empêche d’avancer. Tous ces gravats, ces dépôts laissés par nos expériences qui déformeraient ma perception de la réalité, je les apporte à la déchetterie! Mais c’est joyeux de se séparer de ses propres gravats! ».
Propos recueillis en octobre 2012 par Sarah Authesserre,
pour le mensuel Intramuros
« J’ai apporté mes gravats à la déchetterie », jusqu’au 24 novembre, du mardi au samedi, 20h30, au Théâtre Le Vent des Signes, 6, impasse de Varsovie, Toulouse. Tél. 05 61 42 10 70.