Le festival Toulouse les Orgues met à l’honneur depuis 17 ans le remarquable patrimoine de notre ville dans ce domaine, et aujourd’hui ce sont celles de la Dalbade, les plus grandes (avec celle de Saint Sernin), riches de plus de 3000 tuyaux, 51 jeux répartis sur trois claviers et pédalier, dues à Prosper Moitessier et Eugène Puget dont il était l’un des instruments chéris, idéal pour interpréter le répertoire français du XIXème et du début du XXème siècle.
Saint-Saëns (1835-1921) est donc tout à fait à sa place ici, même s’il avait renié de son vivant ce délicieux Carnaval des Animaux qu’il jugeait trop léger (« une composition de vacances, une pochade de Mardi Gras »). Il est vrai qu’à côté de ses opéras et de sa Danse macabre, on est dans un tout autre registre. Compositeur prolifique, il a été un des fleurons de la grande Mélodie française (avec Debussy, Ravel ou Déodat de Séverac), sur des poèmes du grand répertoire, enluminant avec bonheur Victor Hugo, Anna de Noailles ou Ronsard ; je n’oublie pas non plus sa superbe Berceuse.
Concernant ce Carnaval, je me rappelle avec plaisir de la savoureuse version avec l’inoubliable Claude Piéplu, au disque accompagné par Alexandre Tharaud au piano, Jean-Marc Philips au violon etc. (chez Arion) et sur la scène de la Halle aux Grains par l’Orchestre de Chambre de Toulouse.
Classée monument historique, nonobstant sa nef unique entourée de chapelles, architecture typique du gothique méridional, Notre Dame de la Dalbade reste marquée du XVIe siècle avec son ampleur et ses proportions. Le portail de l’église (de 1878) s’orne d’une céramique de Gaston Virabent représentant « le couronnement de la Vierge », d’après l’œuvre originale de Fra Angelico visible au monastère San Marco à Florence.
La Dalbade, que l’on confond trop souvent avec la Daurade, est aussi blanche que la basilique du bord de Garonne est noire. Elle doit son nom à la blancheur de la chaux qui enduisait ses murs d’une part, à la Vierge à qui était destinée ce lieu d’autre part : le premier nom de l’édifice fut Beata Marie de Ecclesia Albata (la bienheureuse Marie de l’église blanchie). A la fin du XVIe siècle, la Dalbade s’enorgueillissait d’un clocher de 83 mètres de hauteur, embelli par les nombreux bustes sculptés par Nicolas Bachelier. Lorsque le clocher s’effondra en 1926, seuls vingt-trois bustes survécurent. Ils sont aujourd’hui visibles au musée des Augustins.
Elle accueille en cette belle après-midi un public juvénile, souvent accompagné de grands-parents. Et ça rie, et ça joue sur les bancs vite assimilés à des montures. Ce qui n’aurait pas déplu à ce « polisson » de Francis Blanche (1921-1974), spécialiste des canulars, qui écrivit pour eux un livret de cette fantaisie animalière : il avait conservé son regard d’enfant pour faire chanter à nos oreilles la musique des mots. Il a joué de ceux-ci avec cette vivacité d’esprit qui reste attachée à son nom, lui le dernier des grands « pataphysiciens ». « Rire, c’est naturel, c’est animal » ! et comme tout le monde le sait, au pays des enfants, les animaux sont rois.
L’idée est séduisante de transcrire pour deux organistes ce Carnaval des Animaux : les quatre mains et quatre pieds s’en donnent à cœur joie. Sur certaines évocations, c’est une réussite : pour l’Eléphant, par exemple, dont la trompe et le barrissement évoque tout naturellement l’instrument d’église ; et je me demande s’il n’y a pas un tuyau appelé Coucou, tant il sonne juste : les oiseaux sont déjà dans les jeux à bouche et les jeux d’anche. Par contre, pour l’Aquarium, un véritable « tube », ou pour les Fossiles, les percussions me manquent.
Autre bémol, la voix de la conteuse, même amplifiée, a tendance à se perdre dans la grande nef, où la réverbération est très longue, surtout quand elle doit chuchoter. La puissance de l’orgue lui permettant par contre de passer par dessus cet inconvénient.
Mais ne faisons pas les difficiles. L’émerveillement des petits et grands enfants fait plaisir à voir : les canailles-ficelous, « qui font tout ce que leur défend » comme l’éléphant, miment les animaux, sous l’œil parfois complice mais surtout courroucé des « adultes » ; malgré les doigts tendus sur les lèvres en des chuts impératifs, ils ont tout compris : ce n’est pas tous les jours qu’on entend décliner un carnaval, des carnavaux ! Et que l’âne se met un bonnet d’homme ! Rien que pour cela, Francis Blanche mériterait bien la Légion d’honneur que Monsieur Saint-Saëns craignait de perdre pour avoir commis cette « Grande Fantaisie Zoologique ».
Philippe Bardon, Marc Adamczewski et Patricia Seznec ont porté avec force cette belle matinée récréative où même les puristes devraient pouvoir trouver leur compte, en particulier sur le final grandiose :
La fête se déchaine
Les animaux oublient les grilles et les chaines.
On danse, on fraternise,
Le loup avec l’agneau,
Le renard avec le corbeau,
Le tigre avec le chevreau,
Le pou avec l’araignée
Et le manche avec la cognée.
Comme c’est joyeux,
Comme c’est beau
Le Carnaval des Animaux !
Toulouse Les Orgues fait des concerts des spectacles vivants par l’interprétation d’œuvres phares du répertoire, mais aussi des créations contemporaines et des correspondances avec d’autres disciplines artistiques (danse, cinéma, poésie etc.) ou d’autres styles (jazz, musiques traditionnelles etc.).
Le public ne s’y trompe pas qui se presse aux concerts, croyants ou non, amateurs ou non de musiques sacrées : son éclectisme fait sa force. La découverte ou la redécouverte d’instruments fabuleux, « les rois des instruments » selon Mozart, dans des lieux qui ne le sont pas moins ouvre de nombreuses perspectives à tout âge et pour tous les goûts.
Que ce Festival qui fait rayonner Toulouse au niveau international continue longtemps de nous donner à entendre des fantaisies comme celles-ci à côté d’œuvres majeures, des chef-d’œuvres majestueux créés pour élever l’esprit dans les « cathédrales » de notre patrimoine architectural et religieux. Il faut qu’il continue aussi son travail dans le cadre de la Culture à l’Hôpital : l’organiste Baptiste Genniaux anime ainsi des ateliers avec des enfants hospitalisés sur des orgues portatifs spécialement crées par le facteur de Gimont, Jean Daldosso ; c’est de salubrité publique.
J’entends parfois dire que les concerts d’orgue sont « un plaisir bourgeois réservé à une petite élite » : grave erreur !
Ne tirez pas sur l’organiste,
Ce drôle d’animal
Qui donne des récitals
Avec maitrise
Dans les belles églises :
C’est un grand artiste !
E.Fabre-Maigné
Chevalier des Arts et Lettres
05 61 33 76 87