Connaissez-vous l’Occitanie
Ma doulce amie
Entre Garonne
Et Rhone ?
C’était une soirée de printemps balayée par des rafales de vent et de pluie: il faisait frisquet ; en me hâtant vers la rue Malousinat, je pensais au doux troubadour Bernart de Ventadorn chantant J’ai temps d’amour au cœur que frimas est une fleur…
J’avais rendez-vous à l’Ostal d’Occitània, La Maison de l’Occitanie*, le centre culturel occitan de Toulouse. Abritée depuis 2006 dans deux anciens hôtels particuliers du XVe et XVIe siècle, dits de Boysson (1468) et de Cheverry (1535) -des noms des Capitouls ayant successivement occupé l’endroit-, rénovés grâce au concours de la Mairie de Toulouse, du Conseil général de Haute Garonne et du Conseil régional de Midi-Pyrénées, cette institution indispensable est présidée par le bon Jean-François Laffont de Montségur-le-Château en Ariège qui connaît mieux que personne les valeurs occitanes de paratge e convivencia, de partage et de convivialité ; mais aussi l’esprit de résistance hérité de ses ancêtres qui ont sans doute connu la civilisation des Troubadours qu’a voulu éradiquer la Croisade des Albigeois; en vain : Qu’un peuple tombe en esclavage, s’il perpétue sa langue, il tient la clé qui le délivre de ses chaînes (Fréderic Mistral).
Rappelons que la Grande Occitanie s’étendait de l’Atlantique à la Méditerranée, de la Gascogne au Piémont italien, de l’Auvergne aux Pyrénées et que l’’identité occitane, longtemps niée, est aujourd’hui reconnue, choisie et partagée. Elle se caractérise par la pluralité. Elle trouve ses fondements dans sa civilisation millénaire, sa langue l’occitan et sa littérature qui en est l’essence. Loin d’une conception figée de la culture, elle est source d’une modernité qui laisse libre cours à une créativité toujours renouvelée.
La Toulousaine Muriel Batbie-Castell**, après l’Ariègeoise Rosina de Peire et la Béarnaise Marilis Orianaa, est une des plus belles incarnations de la chanson occitane ; mais aussi du chant féminin en général : chanteuse soprano et professeur d’occitan, elle associe avec bonheur répertoire sacré et profane, traditionnel et savant, ancien et moderne. Elle a fondé l’ensemble Avinens avec le luthiste Jodel Grasset et enregistré avec lui un beau disque, Cants de Trobadors*** consacré à cette poésie lyrique. Dans son superbe dernier CD, Cant a capella***, elle chante en occitan, mais aussi en catalan, castillan, portugais, italien, breton, yiddish, flamand et latin… Revisitant chants populaires et sacrés, elle chante seule, ou presque, à la manière d’Hildegarde von Bingen, et magnifie ce difficile exercice de haute volée par son éclectisme culturel. L’ancienne élève d’Hervé Niquet (Le Concert Spirituel) et de Jordi Savall (Hesperion XX), la compagne de route du flutiste Jean-Christophe Maillard au sein de l’Ensemble Hypocras spécialisé dans les musiques et danses populaires du XVIIe et XVIIIe siècle, a transcendé sa technique pour trouver une voie originale enluminée par ses racines pyrénéenne.
La salle Antonin Perbosc (ce maître d’école et poète-collecteur quercynois, surtout connu pour ses Contes licencieux d’Aquitaine) aux couleurs chaleureuses et à la belle acoustique, a accueilli non seulement de nombreux écrivains et musiciens occitans, catalans, bretons et j’en passe, mais aussi des Amérindiens avec l’Association Oklahoma-Occitania de Montauban.
Devant la majestueuse cheminée de pierre ornée des drapeaux rouges et jaunes occitans et catalans, la voix de Muriel Batbie-Castell, accompagnée sur certaines compositions par la flûte traversière de Claude Roubichou (d’origine ariégeoise, Piccolo solo de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, il anime aussi Musica d’Oc, orchestre de musique classique pour l’Occitanie), fait merveille. Elle a pris soin de faire entendre aussi des traductions de certains poèmes en français (peut-être pas suffisamment au goût des non-occitanistes), en catalan (par la voix de Marçal Girbau) ; et en persan par Manijeh Nouri (spécialiste des langues et littératures persanes, Professeur à l’Institut catholique, traductrice de La Conférence des oiseaux d’Attar (Le Seuil) : encore une preuve d’ouverture, si besoin était !
Elle évolue avec grâce du cher Ventadorn à Jordi Barre, de Guiraut de Bornelh à Max Rouquette (dont elle a mis en musique Le silence !) et de Cercamon, Cherche-Monde, l’un des premiers troubadours connus, à Antoni Rodriguez Sabanes et sa Cançó de bres per a una princesa negra, Berceuse pour une princesse noire ; elle n’oublie pas de laisser place à Claude Ribouchou pour un solo aérien, une belle variation sur un Raga de Ravi Shankar. Irradiant de légèreté et de retenue, maniant un humour léger, elle sait aussi se faire pédagogue pour faire chanter en occitan au public conquis Hai hai chivalet ! Hue hue petit cheval ! que me chantait ma grand-mère gersoise en me faisant sauter sur ses genoux.
Mais on restera surtout sous le charme de son chant d’oiseau sur Ieu n’aime una bruneta, J’aime une petite brune de tout mon cœur qui semble écrit pour elle, et En un verger jos fuèlha d’albespin, En un vergièr sous la feuille d’aubépin, La Dame tient son ami tout près d’elle (Anonymes), ou Quand vei la lauzeta mover, Quand je vois l’alouette des champs voler dans la joie parfaite vers son amour du soleil… (Bernart de Ventadorn toujours).
Nous étions bien en pays d’amour courtois.
Et l’on peut affronter de nouveau les giboulées printanières, l’âme plus sereine et le cœur ensoleillé.
L’Occitanie
Ma doulce amie
Parée de forêts sentinelles
Et de neiges éternelles
Douce comme pastourelle
Et printanière d’hirondelles
Ceinte d’eaux libres
Sonore de patois ou de félibre
N’est pas morte de tétanie
Sous les brûlures des mercenaires
Sous les tortures des promoteurs
Elle vit toujours millénaire
Dans l’écho des gaves d’azur
Dans le vent de Montségur
Dans la voix de Marilis Orionaa
La bergère des nuages
Ou de Muriel Batbie-Castell
Trobairitz de notre moyen-âge
Digne héritière de la Dame de Castelhoza
Et elle parle aux Indiens d’Amérique…
Connaissez-vous l’Occitanie
Ma doulce amie
Entre Garonne
Et Rhône ?
Il y a dans son cœur
Une source de jouvence
Où tout le monde peut se désaltérer
Mais c’est à pieds nus qu’il faut y remonter****
Elrik Fabre-Maigné
Chevalier des Arts et Lettres
PS. A l’Ostal d’Occitania, nous n’oublions pas qu’entres autres associations, oeuvrent avec passion le boulègaire Francis Blot, militant culturel occitan, et son équipe d’Org&Com (http://www.orgetcom.net/) pour répondre inlassablement aux nombreux besoins en ce domaine.
** www.muriel-batbie-castell.com
*** disponibles à l’Ostal d’Occitania
**** E.F-M © 21/VI/1990-10/IV/2012