Un film de femmes fait par un homme qui aime les femmes, un film d’actualité malgré les costumes d’époque.
On dit souvent que les films historiques en costumes d’époque, en particulier ceux qui traitent de l’Ancien Régime, très appréciés du grand public, sont « casse-gueule ». Pourtant il y a des réussites superbes, comme « Tous les matins du Monde » d’Alain Corneau ou « Que la fête commence » et « La Princesse de Montpensier » de Bertrand Tavernier ; et bien sûr, le chef-d’œuvre absolu de Stanley Kubrick « Barry Lyndon ». Des œuvres qui nous amènent finalement à regarder notre actualité à travers leur prisme.
Du simple point de vue de la reconstitution historique, le film de Benoît Jacquot a déjà gagné son pari : à commencer par les décors, -le cinéaste ayant pu disposer d’une dizaine de lieux de son choix à Versailles, en plus de la Galerie des Glaces où il a déployé 200 figurants et l’équipe technique !-, mais aussi costumes, vaisselle, mobilier… Rien d’étonnant parce que tout commence par le roman d’une historienne, Chantal Thomas, Prix Femina 2002. Même si cela n’est évident qu’à la fin, le personnage principal du film est le château, une ile isolée du reste du monde dont les rives sont battues par le fracas lointain d’un tsunami ; et dans cet écrin magnifique, un triangle amoureux féminin. Benoît Jacquot a réussi sans montrer les événements extérieurs, à en faire entendre le bruit, la rumeur, la clameur qui percent parfois les murs et les grilles d’un palais où la royauté vit ses dernières heures, mais où les passions sont toujours brûlantes, comme la chair de ses actrices ; des actrices qu’ils aiment à la manière de Truffaut.
Et pour une fois, à l’époque de l’Ancien régime, ce sont elles qui tiennent la vedette. Les femmes se taillent la part du lion dans cette tragédie de fin de règne, que ce soit bien sûr Léa Seydoux, (qui à 26 ans a déjà joué chez Woody Allen, Quentin Tarantino et Ridley Scott !), à la partition pourtant difficile, Sidonie, émouvante en jeune orpheline attachée jusqu’au bout à sa maitresse malgré le jeu pervers de celle-ci ; Diane Kruger, tout à fait crédible, jusqu’à sa pointe d’accent allemand, en Marie-Antoinette capricieuse et bipolaire (après celle de Sophia Coppola, rose et sucrée, presque punkette, il y a peu de temps) ; et Virginie Ledoyen, « La Polignac », sulfureuse favorite d’une reine (alors qu’on est habitué à ne voir que celles des rois), arriviste sensuelle et froide calculatrice. Tous les seconds rôles féminins, mais aussi masculins (Xavier Beauvois qui correspond bien à l’image que l’on se fait du Louis XVI qui n’a pas fait tirer sur la foule, Michel Robin en bibliothécaire tendre et gourmand etc.) sonnent justes, et le metteur en scène a su les diriger pour cristalliser ces trois jours, du matin du 15 juillet au soir du 18 juillet 1789, où Versailles était sens dessus-dessous après la prise de la Bastille, où les rats quittaient le navire.
Pour ce qui est du scénario, il tient la route, malgré quelques longueurs, même si la suggestion des tendances saphiques de Marie-Antoinette, absolument pas avérées, sacrifie quelque peu à la mode de ces derniers années (mais quelle importance après tout) ; par contre, le retournement de situation final (qu’on ne révélera pas bien sûr) est une idée géniale.
On suit haletants le cheminement chaotique de l’héroïne dans le dédale des couloirs, des antichambres et des chambres de bonnes, grâce à l’alternance entre les face-à-face riches en silences, en regards plus qu’éloquents, et les courses, caméra à l’épaule, au milieu d’une foule fantomatique où se mêlent aristocrates et valetailles dans un brouhaha angoissant. La musique originale de Bruno Coulais accentue ce sentiment pesant, même si on l’a connu plus inspiré ; mais peut-être avait-il pour mission de rester loin en retrait derrière les images, pour ne pas phagocyter l’intrigue ?
Si certaines scènes éclairées à la bougie font penser à Georges de La Tour ou Louis Le Nain, d’autres évoquent des tableaux de Goya, comme celle, caricaturale, où le roi, entouré de ses frères et de ses ministres, pitoyables, affronte les courtisans dont le monde s’effondre, tandis que tout cela semble ne pas avoir beaucoup d’importance aux yeux de Sidonie ; beaucoup moins en tous cas, que le regard de sa souveraine.
Mais l’image qui reste le plus en mémoire peut-être, c’est celle qui ouvre le film : la relève de la garde, franchissant des portails couverts de feuilles d’or, au rythme des tambours, tandis que la maréchaussée chasse violemment les gueux en guenilles, les va-nu-pieds qui ont dormi par terre, attendant un hypothétique bout de pain. Ces sans domicile fixe ne sont pas très différents de ceux qui aujourd’hui se pressent au Secours Catholique ou aux Restos du Cœur, et squattent les immeubles abandonnés, laissés pour compte d’une société repue et gaspilleuse ; tandis que quelques privilégiés se gobergent « aux frais de la princesse » : il n’y a qu’à enlever les perruques poudrées et les crinolines pour les remplacer par des costumes Versace, des robes Galliano ou Dior, et des sacs Vuitton. La reine et sa cour avaient simplement peur de les perdre ces privilèges qu’ils pensaient acquis pour toujours ; certains n’en sont pas loin de nos jours. Et l’on entend déjà Hugo, le 9 juillet 1849, tonner à l’Assemblée Nationale législative :
Princes,
C’est de ces douleurs-là que sortent vos richesses,
Les dénuements nourrissent vos largesses,
La misère frémit sous ce Louvre où vous êtes,
C’est de fièvre et de faim et de mort que sont faites
Toutes vos voluptés ! …
Ou Louise Michel, égérie de la Commune, en 1871 : « Tant que des gens mourront de faim aux portes d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines »…
Au delà d’une réussite esthétique et d’un divertissement de bon aloi, du jeu époustouflant des actrices, du savoir-faire d’un cinéaste inspiré, c’est peut-être cet aspect social, toujours d’actualité, qui touche les nombreux spectateurs ; même inconsciemment.
Mais n’est-ce pas le but d’un objet culturel digne de ce nom : provoquer notre réflexion, solliciter notre intelligence, nous amener à nous interroger sur notre actualité à travers une métaphore artistique ? Et prenant conscience de notre appartenance à la société et au monde de notre temps, à renoncer à une position de simple spectateur pour mettre notre pensée et nos actes en harmonie ? Ce n’est pas le moindre mérite de ces Adieux à la Reine en cette fin de campagne présidentielle si éloignée des réalités sociales pour certains de ses ténors.
Eric Fabre-Maigné
Chevalier des Arts et Lettres
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