Avant de rentrer un peu, mais pas trop dans les détails, louons chefs et orchestres, et chœurs dans la n°2. Tous ont vaillamment combattu et se sont même, couverts de gloire !! Et, louons aussi la chance que nous avons eu de pouvoir, sur quelques jours, à la Halle aux grains, assister à de tels concerts. A chaque fois, plus de deux mille spectateurs étaient présents.
Ils auront pu, de visu, se rendre compte de façon tellement plus évidente de la démesure et de la complexité des partitions sorties de cerveaux en fusion permanente, des partitions qui font tout à fait penser à ce que j’appelle des “meccanos“ prodigieux, et ils auront pu se poser la question : « Comment pouvait-on, à la fin du XIXè, écrire des partitions d’une telle difficulté, pour une telle diversité instrumentale, sans les moyens actuels de mémorisation ou de “tripatouillage“ de notes sur “ordi“. » Des partitions qui sont bien de vraies casse-têtes pour les instrumentistes, dans la 5 plus que dans la 2 encore, avec son écriture chambriste, la fragmentation suractive des motifs littéralement écartelés entre les pupitres, ses mètres changeants, la quantité d’incises, de parenthèses, de déviations rythmiques comme mélodiques, le refus presque pathologique de toute verticalité, des jeux de nuances et de dynamiques surabondants, autant de défis quasi insurmontables.
Car ensuite, le chef se doit de retrouver le fil conducteur, l’architecture de l’œuvre, respecter les indications du compositeur, et mettre immanquablement sa pâte dans l’exécution.
Il en va ainsi de la 12è de Chostakovitch que Valery Gergiev nous a donné avec l’Orchestre du Mariinsky en guise de mise en bouche !! Une œuvre interprétée quelques jours auparavant par l’ONCT sous la baguette de Tugan Sokhiev. La même partition et pourtant au bilan deux impressions très différentes, plus de tragique avec le jeune chef, et plus de… détachement ? avec Gergiev, mais dans les deux cas de magnifiques lectures et deux magnifiques orchestres.
Que dire de la n° 5 avec Gergiev sans baguette, et sans estrade, mais avec mains et bras et œil !!!! On reste presque pétrifié devant le résultat asséné, les oreilles ravies et les yeux aussi, admiratifs devant la concentration des musiciens suscitée par la direction serrée, impérieuse, économe du chef, mais prodigieusement efficace. Et ce spectacle de solistes superlatifs, tous en symbiose d’un orchestre vrombissant, obéissant “au doigt et à l’œil“ jusqu’à la conclusion, un finale hymnique, emporté d’un seul geste, venant après un adagietto d’une rare limpidité.
Et puis, sous la direction de son chef Tugan Sokhiev, l’ONCT nous a bissé, si l’on peut dire la Symphonie n°2 dite “Résurrection“. Deux concerts d’affilée sur le 16 et sur le 17. Si je poursuis la métaphore amorcée dans le texte d’annonce, le gros poisson a bien été ferré, et la prise victorieuse à partir de Im Tempo des Scherzos, soit plus de trente-cinq minutes d’enchantement sonore, d’une réussite totale, avec un chef semblant alors complètement libéré, osant un souffle visionnaire, et maîtrisant l’ensemble de manière magistrale, aidé en cela par des pupitres de cuivres “mahlériens“en diable, des percussionnistes itou, et des solistes aux vents en état de grâce, des flûtistes irrésistibles, mais oui ! sans oublier des chœurs de toute beauté, le Chœur de l’Orfeon Donostiarra.
Auparavant, il fallait passer l’embûche de l’“Urlicht“ qui fut plutôt terne et passablement étiré, et n’a pas été à l’origine du ferrage décisif.
Et comme dans toute pêche au gros, il faut ferrer puis donner du fil avec précaution ce qui fut fait, mais m’a-t-il semblé, peut-être un peu trop de fil donc un tempo très mesuré, une mise au tombeau avec beaucoup de majesté et de solennité, sans nervosité un brin rageuse dans l’allegro maestoso, suivi d’un Andante très moderato tout comme le Scherzo en suivant, mais trois mouvements souverainement conduits. (Voir dans le texte d’annonce, les commentaires de Mahler lui-même sur ces premiers mouvements). Qui sait, un brin d’appréhension dans l’approche de l’Ulricht ?
Au bilan, une rude semaine, pleine d’émotions. On ne va tout de même pas s’en plaindre.
Michel Grialou