Orangerie de Rochemontès-Seilh
Clara Cernat, violon
Thierry Huillet, piano
« Rêveur, Tzigane et diabolique »
Pour le deuxième concert dans le cadre splendide de l’Orangerie de Rochemontès, cycle de concerts porté, avec générosité et merveilleuse inconscience en ces temps rétrécis et égoïstes, par Catherine Kaufman-Martin et son équipe, c’est le duo piano-violon aussi complice dans la musique que dans la vie, qui est venu nous annoncer le printemps.
Le titre du programme « Rêveur, Tzigane et diabolique » laissait déjà percer les sons en floraison, et les couleurs du Danube.
Programme :
Antonin Dvorak : Quatre pièces romantiques op.75
Camille Saint-Saëns : La danse macabre
Ciprian Porumbescu : Ballade
Thierry Huillet : cycle Sacromonte et Alhambra
Pablo de Sarasate : Les airs bohémiens
Vittorio Monti : Czardas
Thierry Huillet : Extraits « Le petit Prince »
Présentant clairement et poétiquement chaque œuvre jouée, le duo Clara Cernat, Thierry Huillet, aura fait par la musique s’élevant très haut dans nos jours et nos oreilles « que le printemps est plus tôt cette année » comme le disait Cadou. Et ce printemps avait une prédominante de couleurs de fleurs slaves.
D’abord, autant commencé par un chef-d’œuvre, les quatre pièces romantiques pour violon et piano de Dvorak, composées en 1887 à partir de pièces pour alto et piano, dont les titres éclairent la transposition pour violon et piano actuelle : Cavatine, Capriccio, Romanza, Elegia. La version finale ne reprend pas ces titres, mais garde ces atmosphères souvent passionnées, parfois bucoliques, toujours vibrantes, et la fin rêveuse, l’élégie, est un moment suspendu dans l’ailleurs.
Clara Cernat avec énergie et la joie de faire bondir cette musique, nous entraîne avec son son ample, riche en vibratos, vers une crue de lyrisme, une fougue vigoureuse dans le second mouvement traversé de folklore, un nouveau moment lyrique frémissant dans le troisième mouvement, et une belle élégie rêveuse dans le final. Le violon est ici le maître d’œuvre, et l’accompagnement discret, attentif, amoureux de Thierry Huillet, se contente de canaliser ce torrent affectif. Dvorak va très bien au teint de Clara qui devrait se pencher, si ce n’est pas déjà fait sur les autres partitions pour violon et piano de Dvorak – Sonate op.67, Ballade, sonatine…Elle y sera évidemment magnifique.
Le moment diabolique était dévolu à la Danse macabre de Saint-Saëns, transcrite pour violon et piano d’après le poème symphonique.
Le vent d’hiver souffle, et la nuit est sombre,
Des gémissements sortent des tilleuls ;
Les squelettes blancs vont à travers l’ombre
Courant et sautant sous leurs grands linceuls,…
dit le poème utilisé par le compositeur. Mais Clara Cernat et Thierry Huillet ont joué le deuxième degré et ce n’est pas l’effroi qui nous a saisis, mais la folle virtuosité des musiciens, et les bruits des os ne furent que pizzicati, avec même une danse langoureuse au milieu de la pièce qui prend parfois des accents tziganes. Notre duo joue très souvent cette œuvre qui met en valeur leur art.
Ensuite nous avons eu le plaisir de découvrir une musique tout à fait inconnue de Ciprian Porumbescu, roumain de Bucovine, souvent en prison autrichienne, pour son nationalisme roumain, car il était un « artiste-citoyen » est mort de tuberculose à 30 ans en 1883. Cette ballade « avec laquelle toute âme roumaine s’identifie » comme le note Clara Cernat, fut écrite pour violon seul. Thierry Huillet avec son élégance coutumière, sa grâce, lui a apporté un accompagnement de piano. Cette longue mélopée nostalgique, presque une plainte murmurée dans le vent, est une belle musique, faisant parfois penser à du Chopin.
Musique à faire pleurer le Danube, ce fut un grand moment d’émotion, comme une crue tendre et triste. Le violon de Clara Cernat était devenu un confident. Une sorte de hora, danse traditionnelle roumaine, passait dans le final pour redevenir réceptacle de regrets. »Le temps s’arrête dans l’ailleurs » dit Clara Cernat. Tout est ainsi dit.
Le cycle de Thierry Huillet, permet enfin d’entendre un compositeur vivant et créatif en concert. Il nous entraîne en Andalousie. D’abord à cinq heures du matin à Sacromonte, quartier gitan de Grenade. Et passe le côté âpre du flamenco avec ses rythmes et sa tragédie permanente. Le piano se fait guitare par des effets de piano préparé – un simple livre glissé sur les cordes -, et le violon parfois cris des cantaors gitans.
J’ai un puits en moi
et je ne peux boire son eau
la corde n’est pas assez longue (Solea por buleria).
L’enchaînement avec la vision méditative et nocturne des jardins de l’Alhambra donne des moments de rêveries, d’échos lointains, des sortes d’appels de muezzin. Et le cycle se boucle sur les notes du début du petit matin à Sacromonte. Ce cycle est principalement basé sur des études de rythmes, avec des accents gitans, des effets de percussions sur le piano et sur le violon. On croirait entrer en secret dans une sorte de danse rituelle et magique.
Les Airs bohémiens de Pablo de Sarasate sont célèbres et très souvent joués. Mais rarement avec une telle virtuosité. Du coup de théâtre solennel initial, aux lamentations, en passant par une mélodie hongroise hispanisée, puis par une farouche danse bohémienne, c’est un vertige tournoyant qui nous est donné par notre duo qui a dû faire pacte avec quelque diable pour jouer ainsi en transes musicales. Des aigus superbes, des longs glissandos, des accents arrachés aux cordes, notre violoniste était sans doute possédée. Par la musique bien entendue.
Il appartenait à un italien de nous livrer la danse hongroise la plus célèbre, la Czardas. Et ce Vittorio Monti, aimable compositeur italien du début du XXe siècle, se fait plus hongrois que les Hongrois eux-mêmes, lui qui n’a jamais mis les pieds dans ce pays. Sa Czardas sonne pourtant authentique, si ce n’est originale, car il y en a beaucoup de pareilles. Elle a été arrangée à toutes les sauces, et Thierry Huillet a réécrit la partie de piano, en se souvenant du son du cymbalum.
Après une sorte de prélude, d’improvisation jazz parfois, la véritable danse peut s’élancer et conclure comme dans un cabaret tzigane ce concert superbe. Sous les flots d’applaudissements nos deux musiciens donnèrent deux bis tirés du spectacle audiovisuel créé en décembre à la Cité de l’Espace. Ces extraits touchants et tendres entre valse lente du premier bis à la mélodie nostalgique du second, ont clôturé ce deuxième concert à l’Orangerie de Rochemontès.
Longue vie à ce festival, à nul autre pareil, imaginée par notre très chère « folle de musique », car sa folie est contagieuse et salutaire.
Gil Pressnitzer