Le labyrinthe des passions du pouvoir, la spirale du sang et l’absence de folie
Mise en scène, scénographie et costumes : Laurent Pelly
avec principalement :
Thierry Hancisse (Macbeth)
Marie-Sophie Ferdane (Lady Macbeth)
Pierre Aussedat (Ducan, Hécate, Seyton)
Laurent Meineger (Banquo)
Laurent Pelly a une fascination certaine pour l’œuvre de Shakespeare, sans doute pour les résonances étonnantes de ses pièces en notre temps, leur actualité brûlante, leur mise en abîme de notre monde chaotique actuel. Sur le thème de la tragédie et de l’ivresse du pouvoir, il monte presque à lui tout seul (scénographie, costumes, conceptions des décors), cette pièce effrayante et immense qu’est le Macbeth de Shakespeare.
Il s’en explique ainsi : « S’il est vrai qu’il appartient à ce groupe restreint d’écrivains auquel toutes les époques doivent un jour se mesurer, c’est encore plus vrai aujourd’hui. Tout problème – moral, politique, esthétique… – posé par ce siècle bégayant se trouve préfiguré dans le théâtre de Shakespeare … ».
Et dans la belle traduction de Jean-Michel Déprats, qui se permet quelques modernismes de bon aloi, avec une musique de scène très fonctionnelle, presque utilitaire, entre chaque couperet du rideau de fer scandant les changements de décors, des décors un peu gris, mais intelligemment minimalistes faits de pans de murs qui glissent, de simples façades de maison, la tragédie de Shakespeare se met en marche en attendant la marche de la forêt de Birnam qui elle est ici escamotée.
Deux acteurs remarquables portent les rôles de Macbeth et de Lady Macbeth, surtout cette dernière d’ailleurs, le reste de la distribution demeure un peu dans la grisaille, excepté le rôle de Duncan. Des trouvailles de mises en scène, des anachronismes en forme de clins d’œil, des très belles images parfois, un art du mouvement des acteurs, tout cela devrait donner un grand Macbeth.
Ce ne fut qu’un Macbeth très intéressant, mais sans le souffle puissant shakespearien qui devrait nous faire frissonner.
« Je me suis tant enfoncé dans le sang que si je cessais d’avancer, le retour en arrière serait aussi dur que de continuer ». Mais il ne nous semble point avancer vraiment dans cette destruction des êtres. Pourtant la vénéneuse et superbe Lady Macbeth et sa sorte de poupée de chair à qui elle sert de colonne vertébrale, Macbeth, rongé de doutes puis de folie meurtrière, auraient pu être hallucinants, ils ne sont qu’excellents pris eux aussi dans le labyrinthe d’une mise en scène, qui tend plus vers une mise en images, une sorte d‘opéra sur scène.
Aussi cette folie, cette omniprésence du sang, des délires et des tremblements, que clame le texte, ne viennent pas à notre rencontre comme un spectre inquiétant, comme un choc violent.
« Là où nous sommes, il y a des poignards dans le sourire des hommes ». Les poignards étaient bien là, les sourires parfois aussi, mais l’angoisse beaucoup moins.
Dans sa volonté de montrer la veulerie, puis l’ivresse du pouvoir et du désir de meurtre de Macbeth, le metteur en scène ne met pas assez en lumière cette phrase clé de Macbeth :
« Il appelle le sang : le sang, dit-on, appelle le sang ; …
Des signes, des concordances, par l’entremise
De pies, de freux et de choucas, ont révélé
L’homme de sang le plus secret… Que fait la nuit ? ».
Ici la nuit ne bouge que très peu et fait peu, alors qu’elle devrait nous glacer par ses bruits, et le sang ne tache que les mains et non les âmes.
Il faut dire que cette pièce est presque impossible à monter au théâtre et que les deux grandes réussites dont on se souvient vraiment sont des films : Macbeth d’Orson Welles et Le Château de l’araignée de Kurosawa, et notre réception doit être biaisée par ses références.
Dans un entretien passionnant Laurent Pelly donne son approche de la pièce. Et à trop vouloir enfermer dans un labyrinthe ses acteurs, comme des animaux de laboratoire, il en fait des êtres qui se cognent aux murs et non ces monstres qu’ils devraient être. Et les parpaings gris font regretter le manque de couleur rouge sanglant qui aurait dû être prédominant.
On ne s’ennuie pas une seconde à ce spectacle, mais on ne tremble pas. La violence pourtant présente semble distanciée. La lâcheté de Macbeth est trop au centre, et les hallucinations, le remords permanent, la fuite en avant dans le sang qui appelle le sang, devraient nous entraîner non pas en Écosse ou ailleurs, mais dans les territoires de l’horreur et de l’angoisse, quand il devient une machine infernale qui n’a plus besoin des conseils de son épouse.
Finalement on pourrait seulement reprocher à cette mise en scène de ne pas nous avoir terrifiés, mais ce n’était pas le but recherché par le metteur en scène qui s’appuie sur des scénographies trop prévisibles parfois, dans un certain académisme très utilisé actuellement.
« J’ai voulu mettre en scène »Macbeth » en m’appuyant sur la notion d’absurdité de la barbarie ». Certes, mais la mise en scène emprisonnant dans des murs les personnages, fait en fait un huis clos là où les tempêtes du Nord devraient frapper haut et fort. Et vouloir monter Macbeth comme un être veule, actionné par sa redoutable épouse ne permet pas de suivre sa mutation en meurtrier autonome, qui ne s’émeut même pas à l‘annonce du suicide de celle-ci.
La conception, cohérente au demeurant de Laurent Pelly, repose sur l’idée que Macbeth et sa femme ne sont pas simplement des monstres sanglants, hors nature et hors-norme, mais qu’en chacun de nous sommeille un monstre potentiel que les circonstances du pouvoir pourraient réveiller pareillement. Il ne s’agit point alors de faire de cette pièce un drame d’un homme contre nature, mais de montrer comment l’enchaînement des circonstances le fait tel, et ferait de même avec nous. Aussi la mise en scène ne se focalise pas uniquement que sur ce couple maudit et sanglant, et la marée de sang qu’ils suscitent.
Tout n’est plus dans le rouge vif attendu, mais dans le gris des incertitudes des consciences. Laurent Pelly ne dramatise point la pièce, et les batailles, la vengeance de la nature via une fausse forêt camouflant des soldats, sont estompées dans un épais brouillard, ou pas montrées du tout. L’assassinat de Duncan, le suicide de Lady Macbeth se font en coulisse. Seul le massacre de la famille des Macduff est exposé avec un cadavre d’enfant entrevu. Aussi nous sommes dérangés dans nos habitudes de représentation de cette pièce qui dit que «La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien.». Cet idiot sera Macbeth et les acteurs qui se pavanent ce sont nous pauvres mortels. Et plus que sa femme ce sont les spectres et les sorcières qui mènent la danse. « Des mains sont rougies d’un sang innocent qu’aucun parfum d’Arabie ne lavera », mais plus que cela, et malgré les robinets, installés de façon un peu simpliste sur la scène, ce sont les âmes qui restent rougies à jamais.
Devant ce chaos, Laurent Pelly, comme à son habitude, met en avant les aspects grotesques de la pièce : les sorcières au chapeau pointu et joué par des hommes. Ces infernales font plus sourire que frémir et Hécate est ici ridicule. Le coup de l’appareil photo, la tête brandie de Macbeth certes écrite dans la pièce, mais déplacée ici, et pas mal d’autres clins d’œil inutiles alourdissent le spectacle.
Quelques facilités donc, comme de quitter le cadre de la brumeuse Écosse, pour se situer dans un pays totalitaire d’après les costumes choisis. Lady Macbeth est plus une vamp qu’une tueuse, une bête sexuelle qu’un poignard, et Macbeth est trop effacé, si bien que sa folie propre est estompée, et ceci affaiblit un peu alors tout le cinquième acte où il est seul face aux prophéties des sorcières. Lui qui proclamait « il me faut apprendre par cœur à mourir. », se trouve alors démuni.
Après ses trois heures de labyrinthe de crimes et de violence aveugle, il nous reste un spectacle riche en beautés visuelles, dominé par un remarquable duo d’acteurs jouant le couple infernal, des décors astucieux. Mais le bruit et la fureur semblaient avoir cédé le pas à une tentative d’introspection sur le mal, et Macbeth à un pantin jouet de sa femme autant pour lui mère possessive que dominatrice charnelle.
Il reste bien des moments très forts, surtout visuellement : la première apparition des sorcières entre éclairs et tonnerre et puis au milieu des bougies, Duncan déjà mort-vivant porté à bout de bras, l’apparition de Lady Macbeth en caricature de mannequin extrêmement sensuelle et cruelle, le somnambulisme et la folie de Lady Macbeth, la scène du meurtre vue de l’extérieur à travers l’embrasure d’une porte du roi Duncan, les danses des deux meurtriers, la scène au lit entre Macbeth et Lady Macbeth, la fête du couronnement sur des vestiges de Nouvel an à Vienne et ces ballons tombant des cintres, la présence du spectre de Banquo parmi les convives, le trône immense pour un tout petit roi, les tueurs misérables gueux,… On pourrait multiplier l’évocation des chocs visuels fort réussis.
Aussi ce Macbeth a bien des qualités, surtout visuelles, mais on en attendait plus d’effroi. C’est ici le côté obscur des sentiments qui est mis en valeur, non leur éclatante horreur.
On est plus dans une représentation mentale que dans les excès voulus de ce théâtre élisabéthain. Cette option peut laisser certains insatisfaits, mais elle est voulue, assumée jusqu’au bout. Le terrible est pourtant parfois le commencement de la beauté.
Et le texte de Shakespeare, très bien audible, est à lui tout seul déjà un moment immense.
Gil Pressnitzer
photos dossier de presse : Garat Odessa