Entretien avec Laurent Pelly, co-directeur du Théâtre national de Toulouse, pour sa mise en scène de « Macbeth » de William Shakespeare avec deux comédiens de la Comédie-française.
Pourquoi revenez-vous aujourd’hui à Shakespeare, quatorze ans après « Vie et mort du roi Jean », dans la Cour d’honneur du Palais des Papes au festival d’Avignon?
«Le retour à Shakespeare est inévitable dans la vie d’un metteur en scène. Je l’avais d’abord abordé en 1994 avec une comédie peu connue, « Peines d’amour perdues », à l’Odéon. C’est un bon souvenir. « Vie et mort du roi Jean » a été une expérience plus difficile : ce n’est pas la meilleure pièce de Shakespeare, elle est très bavarde, et la Cour d’honneur est très impressionnante. Mais la tournée qui a suivi s’est mieux passée. « Macbeth » est une des meilleures pièces du répertoire. Elle est extraordinaire, moderne, violente. Chaque ligne est passionnante. Au départ, je voulais monter « Ubu Roi », parce que je voulais aborder la question du pouvoir à l’approche des élections. Mais je me suis rendu compte que ce n’était pas une bonne idée pour la grande salle qui nécessite un certain souffle. J’ai forcément pensé à « Macbeth », puisque « Ubu Roi » s’en inspire.»
Comment aborderez-vous cette œuvre ?
«L’idée est d’entrer dans l’univers de cette pièce par l’inspiration ubuesque, c’est-à-dire travailler sur l’idée de la bêtise comme vecteur de la barbarie. Je préparais déjà « Macbeth » à la mort de Kadhafi : la barbarie de l’humain et l’absurdité du pouvoir absolu se retrouvent totalement dans Shakespeare. Dans la pièce, il n’est question que du pouvoir pour le pouvoir. On n’y parle jamais de ce qui définit le pouvoir, il ne s’exerce pas. C’est comme une entité fantasmagorique. La spirale cauchemardesque est dans la paranoïa de le perdre, et de perdre l’idée d’être un surhomme. Je lis la pièce comme le cauchemar de cet homme, et je vois les personnages à travers le prisme de son œil, comme s’ils étaient issus de son propre œil. Ce qui est incroyable est que ces personnages sont très humains et en même temps dénués de psychologie. C’est une écriture très cinématographique, rythmée, dotée d’une audace et d’une invention dramaturgique perpétuelle – à la différence du théâtre français classique enfermé dans des cadres formels et ancré dans son époque.»
Shakespeare est votre dramaturge préféré, disiez-vous à votre arrivée au TNT. Qu’est-ce qui vous attire dans son théâtre ?
«J’ai l’impression qu’on ne peut pas ne pas être touché par Shakespeare. Il parle de tout, du plus petit au plus énorme. Il y a dans la forme une modernité et une invention, il y a la trivialité, la légèreté – même dans « Macbeth » – et une brutalité toujours contemporaine. J’avais presque oublié cette profondeur : chaque mot est une source d’image, d’invention, de poésie, même dans les situations les plus dures.»
« Macbeth » a la réputation d’être une pièce difficile à monter et à jouer…
«La difficulté est de faire entendre toutes les images et les paradoxes – mais je trouve plus difficile encore de jouer un texte pas très bon. La traduction est forcément une traduction et, même si celle de Jean-Michel Déprats que nous utilisons est rythmiquement proche de la langue de Shakespeare, il y a toujours une part de liberté générée par les multiples sens permanents de l’anglais.»
Vous signez aussi la scénographie et les costumes du spectacle…
«Je suis parti de l’idée du cauchemar. M’est ainsi venue l’idée du labyrinthe : la scénographie est composée d’éléments de murs, ceux de la forteresse et du territoire de Macbeth. Le labyrinthe est aussi le lieu de la guerre et d’un monde absurde à l’avenir imprévisible. C’est un élément graphique qui permet de créer l’espace, et des appuis de jeu pour les comédiens. Pour les costumes, nous travaillons à inventer une armée qui soit médiévale et archaïque autant que contemporaine.»
Vous avez confié les principaux rôles à deux acteurs du théâtre Français qui participaient à votre mise en scène de « l’Opéra de quat’sous », de Brecht, au printemps dernier à la Comédie-française…
«Thierry Hancisse a tout de suite accepté le rôle de « Macbeth ». Il a une dimension shakespearienne : il dégage à la fois une grande fragilité et une grande violence, comme un enfant et comme un tyran. Pour le rôle de Lady Macbeth, Marie-Sophie Ferdane – qui a joué « Bérénice » au TNT – a une folie pas du tout conventionnelle en elle, une folie toujours surprenante. Elle dégage aussi une force.»
Propos recueillis par Jérôme Gac
pour Intramuros mensuel,
le 16 janvier 2012, à Toulouse
« Macbeth », du 29 février au 24 mars, au TNT.
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