A l’occasion du centenaire de la République de Chine, à l’heureuse initiative de la Ville de Toulouse, le festival Made in Asia met à l’honneur l’île de Taïwan et une scène artistique au style unique : gardiens de la culture chinoise ancestrale, les artistes taïwanais excellent à la croisée de l’Est et de l’Ouest, du passé et du présent. Il était finalement logique que certains d’entre eux rencontrent ceux de l’Orchestre Baroque des Passions qui se consacre à rendre toujours plus vivant et actuel notre patrimoine baroque européen. Et l’on se réjouit de voir l’Opéra de Toulouse s’ouvrir de plus en plus à d’autres formes musicales, comme ce fut le cas la saison passée avec le grand Jordi Savall ; et comme il le fera les 30 juin et 1° juillet avec les Musique arabes du Maghreb et de l’Andalousie.
Après avoir bravé le froid hivernal, on apprécie l’écrin douillet du Capitole. La scène est presque trop petite pour les percussions de Yang Yi-Ping -qui ne dénoterait pas dans un groupe punk avec ses cheveux roses et noirs-, et les cithares sur table de Jiang Nan -qui me font penser à des barques sur l’onde courante d’un fleuve millénaire-, une fois que Les Passions, Léonor de Récondo (violon), Nirina Betoto-Bougès (violon), Etienne Mangot (violoncelle) et Jean-Marc Andrieu (flûte à bec), ont été rejoints par Po-Nien Wei au dongxiao (flûte de bambou), -dont la complicité avec Jean-Marc Andrieu est évidente malgré les différences d’étiquette-, Wang Hsin-Yuan au sansian et Wang Xin-Xin (chant et nanguan), -figure hiératique qui semble sortie tout droit d’une peinture de l’époque confucéenne-, autour du clavecin de Yasuko Uyama-Bouvard.
Les échanges culturels entre Orient et Occident ne datent pas d’hier, en particulier le long de ce grand pont entre l’Asie et l’Europe qu’a été la Route de la Soie, et tout le monde connaît le Devisement du Monde de Marco Polo au XIII° siècle. Mais il y eut aussi au XVII° et au XVIII° siècle des missionnaires qui « connaissaient la Musique », tels le Jésuite Matteo Ricci siècle, et Teodorico Pedrini, compositeurs et clavecinistes de renom. Jordi Savall a récemment exploré ces routes pour reconstituer en musique l’« Epopée de François Xavier », parti de la « vieille Europe » vers le « pays du soleil levant » ; et un Concert baroque à la Cité interdite a eu lieu en 2009 a eu lieu à la Cité de la Musique.
Pourtant, la fusion que nous proposent les Passions a de quoi surprendre les oreilles les moins averties : « chaque note gémit, chaque note pèse », la musique chinoise privilégiant la mélodie plus que l’harmonie. De plus on pourrait y entendre un éloge de la lenteur, dans un mode de pensée bien différent du nôtre : « en Occident, nous avons l’habitude d’observer la nature de manière rationnelle et déductive, alors que les Chinois sont habitués à l’examiner de manière sensible et inductive ». Mais si l’on ferme les yeux, on se sent emporté, comme un matin calme sur le fleuve, par une subtilité et une profondeur intacte malgré les siècles qui nous séparent des compositeurs.
N’ayant pas de traduction simultanée, en écoutant chanter Wang Xin-Xin, j’imagine Dame Tse Yeh sous la dynastie Tsin :
Le savez-vous
que vous et moi
sommes deux branches
d’un seul arbre,
que votre joie
sourit en moi,
que vos chagrins
pleurent en moi ?
Ou Li Po sous les Tang :
Les pointes de bambou percent le brouillard
Une cascade de cristal s’accroche au sommet d’émeraude.
Personne n’a su me dire où se trouve l’Ermite.
Je m’appuie aux pins, un peu mélancolique.
Et je retrouve l’espace d’un concert le printemps sur une rivière au clair de lune. Le rituel asiatique ajoute à la solennité des interprétations et même les costumes chatoyants des musiciennes sont un régal pour les yeux.
Sous le charme, je ne m’étonne plus de voir comment des musiciens d’horizons si éloignés peuvent dialoguer sur des thèmes écrits, le Concerto pour flûte de Vivaldi ou sa Follia rencontrant la Fantaisie ou l’Embuscade de compositeurs chinois.
Seule fausse note, une vidéo aux prétentions contemporaines phagocyte la musique, provoquant même parfois une gène inopportune dans l’ambiance sereine distillée par celle-ci.
Sur le final, on apprécie de retrouver les harmonies baroques avec les musiciens au complet qui reçoivent de longs applaudissements bien mérités et nous quittent sur une belle image : celle de femmes et d’hommes aux costumes, aux us et coutumes bien différents, unis par une même sensibilité et par une même volonté de nous la faire partager.
Dehors il ne neigeait plus,
Mais que sont les flocons sinon des fleurs
Et par-delà les nuages le printemps.
E.Fabre-Maigné