Un enchantement et une expérience exceptionnelle
Cette œuvre a été créée au légendaire MET à New York le 31 décembre 2011 ; la septième représentation, celle du 21 janvier 2012, filmée et diffusée en direct en haute définition, dans les cinémas du monde entier, fait partie de la série The Met – Live in HD, dans des conditions de confort visuel et auditif encore réservé à quelques privilégiés au Théâtre du Capitole ou de l’Archevêché d’Aix-en-Provence par exemple ; sur place au MET, le prix des places s’échelonnait de 85 à 499$, alors qu’au Gaumont, il était de 28€ ! Bien sûr, l’ambiance in situ n’a sans doute pas de prix, mais c’est un progrès de démocratisation culturelle à féliciter.
Véritable événement de la saison lyrique, L’Ile enchantée, opéra en 2 actes, est une commande du Met, inspirée des opéras pasticcios du XVIIIe siècle, un fantasme Baroque original, mettant en scène le gotha des chanteurs actuels du genre, rompus par ailleurs au travail de comédiens, et dirigés par l’éminent chef d’orchestre William Christie qu’on ne présente plus*. Comme l’a dit pendant l’entracte le metteur en scène, Phelim McDermott : « L’île enchantée nous offre une réelle opportunité de faire revivre une œuvre lyrique traditionnelle de l’époque Baroque avec des costumes spectaculaires et des jeux de décors incroyables ; c’est un divertissement extraordinaire qui présente une partie de la meilleure musique Baroque ».
Le livret s’inspire du Songe d’une Nuit d’Été et de La Tempête de Shakespeare, et parmi des interprètes tous de très haute qualité, on retiendra la soprano Danielle de Niese qui fait irrésistiblement penser au lutin Puck ou à la Fée Clochette. Mais aussi Joyce DiDonato (mezzo-soprano), une sorcière passionnée bien séduisante même dans la fureur, de même que le jeune Luca Pisaroni (baryton-basse), au physique aussi avantageux que la voix, déjà remarqué par certaines dames dans le Don Giovanni de la saison du MET ; et bien sûr, le ténor Plácido Domingo, qui fêtait ses 71 ans de manière « divine », puisqu’il jouait le rôle de Neptune.
Les choix musicaux de William Christie ont enchanté le public et pour cause : ce brillant diplômé en Histoire de l’Art de Harvard et en Musicologie de Yale, claveciniste de formation, est orfèvre en la matière, à la tête de ses Arts Florissants. Difficile de dire lesquelles nous avons préférées parmi les œuvres de Vivaldi, Rameau ou Haendel, mais les « tempêtes maritimes » du premier nous ont profondément remués, les danses paysannes du second (que Rousseau considérait bien à tort comme un « pisse-froid ») emportés dans leurs tourbillons, et la contrition haendélienne du Prospero incarné par le contre-ténor David Daniels (dont la voix n’a sans doute rien à envier à celle du castrat Farinelli) nous a tiré les larmes.
Dans les décors somptueux à la Gustave Doré imaginés par Julian Crouch, utilisant un procédé traditionnel pour les décors peints à plat sur des toiles, où les escaliers aux pierres polies par le temps sont dévorées par une végétation reptilienne, (d’un côté, la bibliothèque et le laboratoire de Prospero, et de l’autre, la grotte de Sycorax), la mise en scène est sidérante avec ses sirènes suspendues dans l’azur marin autour du char de Neptune, ses chorégraphies bruegéliennes, ses jeux de lumière oniriques qui rappellent Watteau, « peintre plus sourcier d’un rêve que peintre » ou le Verlaine des Fêtes galantes.
On peut d’ores et déjà dire que L’Île Enchantée de William Christie s’élève au rang de chef-d’œuvre que n’auraient pas renié en leur temps les compositeurs « invités ».
Et encourager le public toulousain à suivre cette saison du MET au cinéma, par exemple La Traviatia, le samedi 14 avril 2012 ; s’il reste encore des places…
E.Fabre-Maigné
Chevalier des Arts et Lettres
photo : Nick Heavican/Metropolitan Opera
* On signalera que Christie fait partie de ces jeunes américains, fuyant les Etats-Unis au début des années 70 par refus de se faire enrôler dans l’armée pour participer à guerre du Vietnam, qui s’établirent en France, (comme Steve Waring, grand spécialiste de la chanson pour enfants), où il réside toujours à Thiré, sa thébaïde vendéenne, et qu’il co-dirige à Caen Le Jardin des Voix, un projet pédagogique qui contribue à la formation de jeunes chanteurs en leur offrant des expériences professionnelles de haut niveau ; on retiendra dans sa riche discographie Motets et psaumes de Claudio Monteverdi, Atys de Jean-Baptiste Lully ou Orlando de Georg Friederich Haendel… Et sans doute l’enregistrement qui ne devrait tarder, espérons-le, de cette Ile Enchantée !
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