Concert OCNT 20/01/2012
John Adams : The Chairman Dances
Aaron Copland : Concerto pour clarinette
Béla Bartók: Concerto pour orchestre
Curieux programme où entre la musique fraîche et répétitive d’Adams de 1986, le concerto fort classique de Copland de 1948, on trouvait le grand chef d’œuvre d’exil américain de Bartók, lui de 1943, et qui ne pouvait que porter ombrage aux deux autres morceaux qui semblaient si peu modernes ou inspirés, comparées au Concerto pour Orchestre.
Quel dommage de ne pas avoir su programmer d’autres musiques américaines bien plus passionnantes, comme Charles Ives inconnu à Toulouse, ou bien Morton Feldman, ou notre allègre centenaire Elliot Carter. Tant pis, examinons ce qui nous fut donné à entendre, et ce dans d’excellentes conditions musicales grâce à la précision, et l’engagement du chef d’orchestre. Et bien sûr la ductilité, la souplesse, l’excellence de l’orchestre dans un répertoire à peu près inconnu de lui.
Il valait mieux oublier les précédentes exécutions du Concerto pour orchestre de Bartok, sous une autre ère, et surtout ne plus penser au miracle orchestral que fut celui donné par Ivan Fischer et son orchestre de Budapest.
Donc la mise en bouche fut un fox-trot pour orchestre, ses Chaiman Dances, où l’on n’osait pas imaginer Mao Tse-Toung se trémoussant dessus, alors qu’Adams, sans doute son péché originel, semble lui avoir dédicacé. Cette musique répétitive est un bon moment qui sonne à mille lieues de cette muraille de Chine. Elle fonctionne comme une gentille boîte à musique, charmante, aux rythmes parfois complexes, surtout le passage ralenti, poétique du milieu. Comme une ronde enfantine, la musique s’arrête et semble repartir en sens inverse, puis tournoie comme une jolie toupie multicolore. On préfère mille fois les Harmonielehre datant juste un an avant,1985.
Ces danses, pas du tout ironiques ou cruelles comme il devrait, sont d’une écoute sympathique, mais de là à admettre qu’Adams soit bien plus joué actuellement dans ce vaste monde que Bartok, il semble là aussi que les agences de notation musicales se fourvoient.
Le Concerto pour clarinette, orchestre à cordes, harpe et piano, composé pour Benny Goodman, clarinettiste de jazz honorable sans plus, à qui fut dédié Contrastes de Bartók, dix ans avant, morceau d’une tout autre ampleur, permet d’entendre en son heure de gloire le clarinettiste de l’ONCT, David Minetti. Ce concerto de Copland reprend le néo-classicisme à la mode à cette période, et tente de le marier au jazz, Benny Goodman oblige. Si le premier mouvement comporte un certain charme romantique dans sa douce lenteur, le second mouvement n’apportera rien au jazz, ni à la musique classique. Les dialogues cordes, piano, harpe, clarinette sont peu perceptibles, et les syncopes du jazz bien timides. Léonard Bernstein aimait cette œuvre, mais il aimait aussi Aaron Copland.
Le morceau de Stravinsky donné en bis, tiré de ses Trois Pièces pour clarinette (1918), met en avant la technique foudroyante de David Minetti et fait retomber la pièce Copland dans l’oubli.
Donc on attendait avec un peu de crainte le Concerto pour Orchestre de Bartók, d’abord parce qu’on l’aime, ensuite parce qu’il est difficile d’en rendre toutes ces facettes. Destinée bien sûr à faire briller tous les pupitres d’un orchestre, elle va plus loin que son aspect fonctionnel. C’est la dernière œuvre vraiment terminée par Bartók avec la Sonate pour violon seul. Elle est donc chargée aussi de nostalgie, d’amertume, de sentiment de perte. Ce n’est pas une œuvre alimentaire, bien qu’elle aura permis à Bartók de survivre encore un peu à sa misère et à sa leucémie. C’est aussi un hommage à un orchestre, mais un reproche larvé contre l’ingratitude américaine à son égard.
Le concept de Concerto pour orchestre est bien une invention de Bartók, car il n’oppose pas un instrument soliste à un groupe, mais propose à chaque partie de l’orchestre (cordes, vents, bois, percussion…) des moments de virtuosité qui tous doivent se fondre dans la matrice de l’œuvre traversée de souvenirs. Souvent Bartók joue sur des jeux de couple entre les instruments pris deux à deux (bassons, hautbois, clarinettes, flûtes, trompettes…).
Tout cela nous l’avons clairement entendu, car la précision, l’engagement du chef, son art de mettre en avant les rythmes complexes, ont galvanisé et guidé l’orchestre. Une véritable tension était présente. Mais, et c’est un léger reproche, Bartók concevait son œuvre ainsi : «L’atmosphère générale de l’ouvrage – mis à part le deuxième mouvement – présente une graduelle progression allant de l’austérité du premier mouvement et du lugubre chant de mort du troisième vers l’affirmation de la vitalité du dernier…».
Cette montée pouvait se deviner, mais il aura manqué deux choses à cette belle interprétation : la profonde et désespérée nostalgie, et surtout l’amère parodie par une musique qui doit sonner vulgaire, de Chostakovitch, porté à cette époque aux nues aux USA, et de la Veuve Joyeuse de Lehar, d’autres citations plus cryptées sont aussi parodiées.
Cet aspect méchant, vengeur était absent de l’interprétation, une tendresse douloureuse aussi.
Mais ce ne sont que des regrets de puriste, car entendre une telle perfection de mise en place dans une œuvre si diverse et complexe, une telle beauté instrumentale de tous les groupes, est plus que rare. Il faudra suivre ce chef, car il est grand, et continuer à admirer cet orchestre capable de se plier magistralement à d’autres baguettes, à d’autres musiques.
Un beau concert donc, la découverte d’un chef, la confirmation d’un orchestre, loin des fast-foods et des routines, qui parfois ailleurs sévissent.
Gil Pressnitzer
photo Pascal Rophé : Studio image