Occitanas
Le chant traditionnel, une source intemporelle
« Mais pourquoi ne sont-ils pas venus ?» se lamentait ce bon Jean-Jacques Cubaynes, qui avec le lutin Xavier Vidal s’était donné tant de mal pour monter un concert somptueux. Et nous n’étions pas très nombreux à l’Auditorium Saint-Pierre des Cuisines, riche de toutes les dépendances de ces fontaines de musique déversées ce soir-là.
Car quand on a le privilège d’entendre l’extraordinaire Renat Jurié, chanteur et danseur possédé ce soir, on accourt toutes affaires cessantes pour se plonger aux sources authentiques du chant traditionnel. Et quand Xavier Vidal, musicologue, chanteur, multi-instrumentiste, titulaire de la classe nouvellement ouverte au Conservatoire de Musiques Traditionnelles lui donne la réplique, il faut être inconscient pour ne pas les écouter. Et en plus quand Guillaume Lopez, saisit sa voix et son fifre, pour s’adjoindre à eux, honte aux absents. Dans ce « libre parcours musical », axé sur le chant traditionnel, orthodoxe ou métissé de jazz et de musique classique, les rencontres qui semblaient improbables se font et se tissent.
Le concert avait d’abord posé ses assises sur des chants traditionnels béarnais, des airs de la Montagne noire ou les bodegas, pas celles des ferias, mais grandes cornemuses se souvenant des chants des chèvres appelant les nuages et l’herbe. Le graïle, hautbois rustique et perçant, donnait le vertige nécessaire aux danses. Renat Jurié donc et Xavier se mirent à tournoyer comme derviches tourneurs occitans, les violons les portaient.
C’est là que vient une interrogation : comment se fait-il que des musiques si belles, complexes souvent, ne sont pas sorties du placard des mémoires, et ne soient connues et défendues que par quelques-uns, et donc ne soient pas sur la place publique ? Sans doute que contrairement à d’autres musiques traditionnelles, roumaines, bulgares, hongroises… elles n’ont pas connu de Bartók ou de Kodály qui les auraient transcendées.
Le gentil Joseph Canteloube n’a pas cette ampleur. Ses Chants d’Auvergne sont fort agréables et même touchants, surtout quand ils sont chantés par la soprano Nicole Fournié, professeur au Conservatoire de Montauban. Voix splendide, digne de pas mal d’autres ayant gravé ce cycle, Nicole Fournié restitue les petites douleurs des délaissées et des femmes. Mais cette musique, ne transcende pas un folklore imaginaire pour l’amener à l’universel, comme un Bartók. On reste entre cartes postales et tapisserie tendre ; mais on y est très bien ma foi. L’adaptation orchestrale pour l’orchestre de chambre du Conservatoire, excellent d’ailleurs, est réussie, mais estompe quelques couleurs d’origine. Le cor anglais était mélancolique et souverain.
Puis vint Sa Majesté le jazz avec Jean-Marc Padovani aux saxophones ténor et soprano, et son complice au piano Philippe Léogé. Des concerts et un cd « Angel Eyes », nous avaient déjà fait découvrir ce chant « La vespre de la noçà », à partir d’un chant de mariage occitan, qui nous entraîne entre nostalgie et joie vers un passé transfiguré où le piétinement des sabots se mêle aux larmes de la mariée.
Les voix de Jean-Jacques Cubaynes et de Nicole Fournié sont venues tenter l’osmose entre chant traditionnel et jazz. Les deux univers se sont souvent frôlés, se sont parfois mariés, et toujours enlacés, toujours respectés.
Donc il est possible de tracer de nouveaux chemins dans le paysage traditionnel et parfois figé. Pourquoi alors les fenêtres ne s’ouvrent –elles pas à grands battants ?
Il y a aussi sans doute la fierté de vivre en vase clos, au risque voulu parfois de se ghettoïser.
C’est le grand mérite de certains de sortir l’Occitanie de tout intégrisme, de ne pas vouloir être l’empaler sur son clocher de naissance, ou dans les ruines des mythiques châteaux cathares aussi éloignés que nos châteaux en Espagne. Les Felix Castan Alem Sure-Garcia, Jean-Jacques Cubaynes et quelques autres ont ouvert au monde, cette richesse enclose.
On n’est pas le produit d’un sol, on est le produit de l’action qu’on y mène, disait le cher Castan.
L’action comme un tel concert ramène la musique traditionnelle occitane au centre du monde et lui donne un avenir.
Un Se Canto, que canto (S’il chante, qu’il chante), entonné par tous, n’était plus un chant de ralliement, mais un chant d’espoir.
Gil Pressnitzer
Site Internet Jean-Jacques Cubaynes