UN OFFICE NOUVEAU A LA CATHÉDRALE SAINT ETIENNE
Ce concert hors normes était comme un avant-goût des Rencontres des Musiques Anciennes, programmées également par le directeur d’Odyssud, que nous retrouverons avec bonheur au printemps prochain.
Au croisement de la nef raymondine et de la nef gothique, la scène, avec juste quatre pupitres et quelques projecteurs aux couleurs pastels, était dressée au pied du pilier où est enterré Pierre-Paul Riquet, bienfaiteur de notre Languedoc.
Jan Garbarek a pris quelques cheveux blancs, mais son timbre unique, ses notes cristallines et ses sonorités si particulières n’ont pas pris une ride depuis l’époque où il a fait les belles heures du label ECM commencées en 1978 avec My Song de Keith Jarret. Mais contrairement à ce pianiste qui est resté cantonné dans le Jazz, il a exploré toutes les frontières du saxophone, depuis sa Norvège natale jusqu’à l’Orient, de Dis avec la harpe éolienne des rivages de la Mer du Nord à Rosenfole et les chants médiévaux de la chanteuse Agnes Ben Gurnàs en passant par ses dialogues avec des musiciens indiens ou arabes, Nusrat Fateh Ali Khan ou Zakir Hussein : une aventure musicale éclectique et passionnante, loin des chapelles où se laissent enfermer certains de ses confrères.
Malgré les critiques des puristes, il a entamé en 1994 un travail de fusion avec le Quatuor Hilliard (en référence au peintre miniaturiste et orfèvre anglais de l’époque élisabéthaine), spécialiste des polyphonies vocales ; et le grand public a plébiscité leur démarche, comme à Toulouse. Avec une grande ouverture d’esprit, ces musiciens ne sont pas préoccupés par le «style» de la musique qu’ils font, ils font de la musique avant toute chose, dans un dialogue permanent, sur des bases solides : les interprétations des vocalistes britanniques restent fidèles au répertoire prébaroque ; le saxophoniste formé à l’improvisation jazz, ne s’égare jamais dans le free et reste toujours profondément mélodique.
Sur la trame de chants byzantins, de musiques arméniennes, de compositions de Pérotin le Grand (XIII° siècle) mais aussi du contemporain Arvo Part, tissée par les ténors Rogers Cover-Crump et Steven Harrold, du baryton Gordon Jones (en l’absence du contre-ténor David James, souffrant), le saxophone de Garbarek est bien une 4° voix. Il a utilisé la cathédrale comme un instrument de musique à part entière, ainsi que les chanteurs : ils n’ont pas hésité à déambuler dans les allées et les voutes magnifiques ont amplifié ce rituel, entrainant le public dans une douce rêverie, voire une expérience mystique en parfait accord avec le lieu, redevenu pour une soirée l’écrin musical pour lequel il avait, au delà de la liturgie, était édifié.
Et en sortant dans la nuit, me sont revenus ces vers de La Vision du Grand Canal Royal des Deux Mers où Charles Cros chantait en des vers doux et lents la ceinture d’azur attachée aux flancs de notre cher Midi :
Toulouse triomphale héberge l’univers
Sous ses palais de brique et ses peupliers verts.
Et la flûte soupire et la harpe résonne
Sur les bords du canal de Bordeaux à Narbonne…
Précurseur s’il en est, tout en restant fidèle à ses origines, Pierre-Paul Riquet n’aurait sans doute pas dédaigné cette aventure musicale de si bon aloi.
E.Fabre-Maigné 3-XI-2011