J’écrivis sur le sable
les trois noms de la vie:
la vie, la mort, l’amour.
Une rafale de vent,
de si loin si souvent, de la mer
vint nous effacer…
(Miguel Hernández – Recueil des absents – Extraits traductions Jean Gabriel Cosculluela & Charles Juliet)
Le vent du peuple souffle enfin par la voix intense et rauque de Miguel Hernández que nous restitue son magnifique passeur Vicente Pradal. Longtemps, très longtemps Vicente Pradal aura porté cet hommage qu’il voulait pouvoir culminer en 2010 pour le centième anniversaire de la naissance du berger-poète. Cela ne fut possible que par bribes et maintenant grâce à sa ténacité, son amour pour ce poète, l’aide de certaines structures dont la Scène Nationale de Narbonne, depuis toujours exemplaire et fidèle, ce spectacle oratorio nous est enfin donné au TNT et cela est un choc fraternel et émotionnel.
Non seulement Vicente Pradal aura comme d’habitude écrit la musique fervente, sauf bien sûr cet emprunt à la marche funèbre de la seconde sonate de Chopin qui fut jouée à la levée du corps à la prison d’Alicante et de la pièce de Pablo Casals sur le Chant des oiseaux qui conclut vers le silence cette stèle de l’émotion d’un poète à un autre poète, mais il aura dû pour la première fois concevoir et écrire toute la trame de la pièce. À partir des mémoires de la femme de Miguel Hernández, Josefina Mansera, écrites vers les années 1980 avec pour rétablir la vérité humble et aveuglante de la trajectoire du jardinier de la terre, et la débarrasser des fausses légendes des faux amis.
Miguel Hernández meurt le 28 mars 1942 à cinq heures et demie du matin dans la prison d’Alicante, portant en lui du fond de ses ténèbres des messages d’espoir. Dans son cachot les fièvres l’ont emporté loin des murs des hommes. Sur les murs de l’hôpital, il aura écrit ces ultimes graffitis :
Adieu, frères, camarades, amis : laissez-moi prendre mon congé du soleil et des champs.
Miguel Hernández avait les entrailles nouées à la terre et la tête contre les chaudes mamelles de ses chèvres. De là tous les tressaillements du monde lui parvenaient. Lui le petit paysan « à la tête de patate », savait dire au vent et aux hommes le pouls des choses qui battent, des hommes qui souffrent.
Sobre et profond comme le voulait Vicente Pradal cet oratorio autour de la vie de Miguel Hernández rend palpable cette recommandation de Pablo Neruda, véritable ami du poète : « Évoquer Miguel Hernández en pleine lumière est un devoir ». Ce devoir est accompli par la mise en scène tout en déplacements allusifs et furtifs de Vicente Pradal et de Coraly Zahonero et par le tissu, comme une couverture d’amitié, du piano de Rafael Pradal et du violoncelle d’Emmanuel Joussemet, des voix de Vicente Pradal presque un souffle de confidence chaleureuse, d’Alberto Garcia, au chant sinueux, de Luis de Almeria forgé à l’archaïsme du flamenco, et de « la fleur en train d’éclore », Paloma Pradal aussi habitée par la danse et dont le chant prend une ampleur d’oiseau du destin. Le texte, monté à partir de sources pas toujours faciles d’accès, est lumineux et juste, car il retrace simplement, sobrement, singulièrement la personne et la poésie rugueuse de Miguel Hernández. Il est porté, habité par Evelyne Istria, à qui certains spectateurs auront demandé si elle était bien la femme de Miguel Hernández, tant l’incarnation est forte.
Dans un décor réduit à presque rien, des lumières chuchotées, un spectacle intense et bouleversant nous aura été donné.
Mais la véritable rencontre avec Miguel Hernández, dont aucun livre traduit n’est actuellement disponible à ma connaissance en France, s’effectue par les quelques poèmes judicieusement choisis et mis en musique par Vicente Pradal. Tout est force et retenue, pour dire celui se définissait ainsi :
J’aimerais tant être le jardinier désespéré
de la terre que tu emplis et fertilises,
– et cela au plus tôt
Et qui aura été « des pieds à la tête prairie pour la rosée et qui avec ses souliers de berger à a parcouru l’espace et gratter la terre avec ses dents ».
Enrique Morente l’a chanté, Paco Ibanez aussi, Vicente Pradal le chante maintenant superbement en digne héritier, ainsi vivent de bouche en bouche les poètes.
Dans un jardin de bouches
Futures et dorées,
Mon ombre brillera.
Grâce au spectacle fervent de Vicente Pradal l’ombre Miguel Hernández brille. Merci à Vicente, merci à Miguel Hernández ,ce gardien de chèvres mort à trente-deux ans et poète essentiel.
« Les poètes, nous sommes le vent du peuple : nous naissons pour le traverser en soufflant et conduire ses yeux et ses sentiments vers les plus hauts sommets » (Miguel Hernández cité par Vicente Pradal).
Gil Pressnitzer