Concert du samedi 15 octobre 2011
Trois Danses : joies, deuils, luttes de Jehan Alain, version pour orchestre transcrite par Luc Antonini
Toccata et Fugue en ré mineur de Johann Sébastian Bach, transcription de Léopold Stokowski
Symphonie en ré mineur de César Franck
En partenariat avec le festival Toulouse les Orgues, l’ONCT sous la direction de Tugan Sokhiev, donnait un concert dans lequel la présence en filigrane de l’orgue était bien sûr le fil rouge du concert. Car même en creux, soit au travers de transcriptions épousant les registrations et la force des plein-jeux de l’orgue, soit par l’écriture de César Franck, écriture, comme pour Bruckner, d’un organiste dans sa recherche des couleurs et des structures.
Le concert commença par hommage à Jehan Alain, dont la commémoration du centenaire de la naissance fut célébrée pendant tout le Festival Toulouse les Orgues, aussi bien par des expositions émouvantes, des conférences, que par sa musique qui aura résonné sur les orgues de Saint-Sernin, de Saint-Étienne, de la Dalbade, avec pour apogée le spectacle musical conçu par Brigitte Fossey et Michel Bouvard.
« Cet éternel jeune homme », tué à 29 ans au front, n’aura longtemps eu sa mémoire portée que par sa sœur Marie-Claire Alain, qui défendit son œuvre avec amour et constance. Maintenant ses Litanies et ses Trois danses sont très souvent jouées. Mais l’événement, presque de clôture du Festival, aura été la très rare transcription pour orchestre de ses Trois Danses, interprétée par l’Orchestre National du Capitole, dirigé par son chef Tugan Sokhiev.
Si Jehan Alain avait d’abord écrit ses Trois danses pour piano, puis l’avoir véritablement repensé pour orgue avec des registrations, partition qu’il posta juste avant sa mort, il pensait vraiment à l’orchestre puisque le titre de son œuvre était Trois Danses pour orchestre, poème symphonique en trois mouvements. Il ne put achever l’orchestration réalisée par Luc Antonini. On ne sait quel alliage de timbres et de couleurs aurait retenu Jehan Alain, mais partant des esquisses laissées, le travail final laisse deviner le paysage sonore espéré.
Ses Trois danses -Joies, Deuils, Luttes– sont presque une prémonition de certaines musiques de Leonard Bernstein avec ses élans rythmiques issus du jazz, et aussi de la musique à venir de Messiaen avec ses retombées métaphysiques et funèbres. Tout le sens de cette œuvre de Jehan Alain qu’il porta de 1937 à sa mort semble consister en cette lutte entre les forces de vie et les forces de la mort. Le contraste doit être saisissant, il ne le fut pas complètement. Si l’interprétation a bien mis en valeur les couleurs orchestrales et l’élan de la première et de la troisième danse, la deuxième, la plus profonde que Jehan voulait « Danse funèbre pour honorer une mémoire héroïque » aurait pu être plus poignante, comme un adagio de Mahler auquel elle peut faire penser. Mais ce ne sont que des détails devant la joie de cette découverte d’une grande œuvre.
L’exécution de la transcription pour orchestre de la célèbre Toccata et fugue en ré mineur de Bach, par le généreux et démesuré Léopold Stokowski, qui aura toute sa vie fait œuvre de passeur de musiques, fut un grand moment de plaisir avec un orchestre tout à sa joie de rentrer dans la légende de Fantasia. Certes on est loin de l’ascétisme de Webern dans ses transcriptions de Bach, cela est très hollywoodien, mais on redécouvre des trouvailles de ce génial orchestrateur qu’était Stokowski et on s’émerveille comme un enfant de ce fabuleux travail si savoureux. Vraiment un grand moment, on se serait cru aux « Prom’s » de Londres.
La symphonie en ré mineur de Franck appelle les souvenirs de Michel Plasson qui souvent l’a jouée de façon très sombre. Mais l’interprétation de Sokhiev est tout à fait autre. D’abord Sokhiev place l’orchestre comme à Saint-Pétersbourg, avec les contrebasses au fond à gauche de l’orchestre. Cela marche bien pour le Sacre de Stravinsky, mais cela prive de soubassement dans les graves toute l’orchestration de Franck, qui s’appuie là-dessus.
Mais plus que ce déséquilibre sonore, Sokhiev accentue le défaut latent de cette musique tournée vers Wagner par de trop grandes péroraisons, plus proche de celui-ci que de Franck. Certes le côté parfois cinglant, quelques accélérations aussi, une certaine rapidité, enlèvent tout le risque si souvent rencontré d’orchestration pâteuse et saint sulpicienne dans cette musique. Mais ce que l’on gagne en clarté on le perd en mystère. Et ainsi le premier mouvement, si proche de la quatrième symphonie de Bruckner, la Romantique composée juste quinze ans auparavant, aurait demandé tout le sacré et le mystère des forêts, et non pas ses « plein phares » avec des cuivres déchaînés trop vite et trop fort. Le « Pater Seraphicus » était un peu agité dans cette vision.
Par contre l’interprétation du deuxième mouvement avec ses interventions de cor anglais, aura été tout simplement magique, et une émotion profonde envahissait public et musiciens. Le final, assez vif encore, a bien su rendre cette obsession cyclique, presque inquiétante et haletante, que voulait Franck dans cette œuvre, qui fut si mal reçue par ses contemporains. Tout l’orchestre porté à l’incandescence par son chef va clamer le thème initial, comme un immense accord d’orgue.
Ainsi dans ce concert si l’orgue n’était pas dans la salle de concert, toute son ampleur, sa façon de sonner, étaient bien présent par les trois œuvres choisies.
Gil Pressnitzer