VERONIQUE GENS en récital au Capitole, c’est tragique !
Mais que se passe-t-il ce soir du 13 Octobre 2011 ? Les boussoles se sont-elles désaxées ? Il a fallu à votre serviteur un certain temps pour digérer et analyser l’effet produit par ce triste concert. Triste car il ne m’était jamais arrivé de m’ennuyer à ce point à un récital…
Luciano Berio a dit dans une interview une chose très juste en parlant des critiques : « Mais je me demande également si, à la longue, une profession de ce genre, toujours tournée vers le travail des autres, toujours sommée d’émettre un jugement sur ce que font les autres (ceux d’aujourd’hui et non ceux d’hier), ne finit pas par endommager la constitution intellectuelle et morale d’une personne ». Dire ce qu’en tant que critique je ressens, le comparer à l’impact sur le public du concert, penser aux répercussions pour les artistes à l’écrire est un exercice complexe. Pour éviter les situations trop difficiles, en choisissant bien mes concerts je peux généralement dire que j’ai aimé ce moment et pourquoi.
Il s’agissait donc d’un récital de Véronique Gens, pour sa première venue à Toulouse, auréolée de sa réussite mondiale et d’une discographie enviable. Comment résister à cette invitation pour un amateur de voix ? Christophe Rousset et Les Talens Lyriques sont d’éminents artistes. Un troisième CD d’une série « Tragédiennes » paraît chez Virgin Classics avec le même programme. Une diffusion médiatique à la manière du cinéma ; Comme dans la suite de films Alien 3 et suivants, promet les même délices et d’avantage encore à ceux qui ont aimé les volumes 1 et 2. L’association avec le grand spécialiste de la musique dite romantique française, Alexandre Dratwicki du Plazzeto Bru Zane, apporte une caution musicologique dans le programme remis au spectateur. Las rien ne tient, rien absolument rien. Tel un tapis de barbe à papa un flou brouillon, un manque de fermeté, s’empare de l’espace et du temps. Méhul, Gluck, Salieri, Gossec, Kreutzer, Meyerbeer, Berlioz, Cherubini et Verdi sont abordés de la même manière par le chef et la soprano. Tirant tout vers cette tragédie lyrique à la Lully dont sont issus nos interprètes, le fil est si abusivement tiré vers le XIXième siècle que l’ennui devient terrassant. Le mélodrame de Méhul (la cantatrice disant de sa voix parlée un texte sur un fond musical) qui débute le concert sert de carte de visite. Véronique Gens a comme qualité rare de pouvoir rendre compréhensible tout texte, y compris dans les aigus. Pour cela elle renonce à une projection lyrique de sa voix. Nous savons que dans le premier récital, Tragédiennes, elle comptait dire adieu aux rôles lullystes dans lesquels elle a excellé. Mais cette déclamation si sophistiquée fait partie de son art et se retrouve dans tout ce qu’elle chante. Diction au premier plan comme dans la Tragédie Française, soit. Mais lorsque les textes sont faibles ? voir indigents ?? Lorsque le rôle exige une caractérisation passionnée, Médée, Didon, Andromaque, cette diction versaillaise, polie et distante, devient un handicap rédhibitoire. Lorsque les compositeurs exhumés se révèlent sans originalité voir faibles ; que les Berlioz et Verdi sont ravalés au rang de ces compositeurs à oublier au plus vite, rien ne permet de se réjouir. Nommer ce récital « Héroïnes romantiques » tient de l’escroquerie intellectuelle. Il n’y a rien eu de romantique dans cette soirée sage et ennuyeuse. Une Didon si fragile, et une Elisabeth de Verdi si modeste ne sont pas les héroïnes que leur théâtre romantique exige.
Autre grand malaise et sous la plume des prétendus spécialistes, Véronique Gens serait une mezzo-soprano, ou un genre de Falcon (peu d’aigus mais graves aisés avec medium sonore) ! Ainsi quelques mesures bien choisies dans le passage le plus aigu du rôle de Fidès du Prophète, en serait une preuve ? Qui a entendu une seule note de Marylin Horne dans ce rôle comprendra la supercherie. Qui a entendu récemment la Didon berliozienne de Susan Graham saura que jamais Véronique Gens ne peut prétendre à chanter plus que ce court extrait de la scène finale et n’a absolument rien pour incarner la si douloureuse Reine de Carthage. Et je n’évoque pas les vrais mezzos d’autrefois, sopranisantes avec contre-ut, comme Shirley Verrett, Christa Ludwig ou Grace Bumbry qui a un moment de leur carrière ont associés rôles de Mezzo et Soprano. Ou encore Régine Crespin, Charlotte, Kundry et Carmen d’exception, Jessye Normann capable de chanter Aida ou le contralto de Urlicht chez Mahler et dans cet extrait de la mort de Didon( écoutez la diction romantique avec une pointe d’accent c’est vrai, mais quelle Reine). Voilà des voix à la Falcon !
Mais le moment le plus déplaisant concerne la grande scène d’Elisabeth du Don Carlos, en français, de Giuseppe Verdi. Nous y avons trouvé d’avantage une nymphe perdue dans un jardin d’Espagne trop vaste, qu’une reine lucide et noble, épouse de Philippe II. Comment l’un des plus beaux airs de Verdi peut-il ainsi être défiguré, et sur cette scène du Capitole, qui sait ce que chant verdien veut dire ?
L’orchestre des Talents Lyriques, comme la soprano, usurpe des moyens qu’il n’a pas. Les intonations sont floues, la justesse relative et les envolées romantiques ne décollent pas. Christophe Rousset qui nous a enchanté en de nombreux concerts, en récital de clavecin, en musicien de Chambre, et à Toulouse dans cette auguste salle du Capitole, avec son Couronnement de Poppée en 2006 qui a fait date, et son Retour d’Ulysse en sa partie tout autant en 2007 et encore d’avantage pour le brillant de l’orchestre dans son interprétation de Temistocle de Jean Chrétien Bach qui avait été une vraie découverte en 2005. Ce soir sa direction brutale et trop maniérée par moments, son refus du phrasé ample exigé par le souffle romantique, son excitation tenant lieu d’énergie, ses tempi inconfortables, mais surtout son avarice en nuances, ont gâché bien des pages. Berlioz et Verdi ont dû beaucoup, beaucoup souffrir en leur Nirvana, alors le désagrément subi par le critique est peu de choses car lui peut répondre à cette proposition interprétative et dire combien elle lui semble à contre-sens du Beau et du Drame.
L’écoute du CD, Tragédienne 3, est une épreuve qui a hélas confirmé les choses. Les problèmes de justesse et d’intonation de l’orchestre sont évités, ouf, mais la brutalité est encore plus présente. La voix est pauvre en harmoniques et claire. Les aigus sont parfois tirés et le médium quelconque. Quand aux graves de mezzo promis, surtout ne me demandez pas une seconde écoute pour les trouver. Ah non, pas question ! Je cours vers ma « Falcon » préférée : S. Verrett.
Vous l’aurez compris, ce CD est à éviter, par respect pour des artistes magnifiques dans d’autres répertoires et pour ne pas faire souffrir les Mânes des compositeurs romantiques.
Hubert Stoecklin