Il y a 10 ans, l’attentat du World Trade Center traumatisait le pays de l’Oncle Sam. Même si le cinéma américain mettra plus qu’une décennie pour digérer l’évènement et proposer des digestions plus ou moins réussies (à l’instar des films correspondant aux traumatismes de la Seconde Guerre Mondiale, la Guerre Froide, ou celle du Viêt Nam), nous pouvons déjà dresser un bilan de l’influence de cette tragédie (et ce qu’il en a découlé : les guerres en Irak et en Afghanistan) sur les fictions sur grand écran. Je passerai sous silence des productions directement rattachées aux évènements, comme « Road to Guantanamo » (Winterbottom, 2005), ou « World Trade Center »(Stone, 2005), que je n’ai pas vus.
Le retour des super-héros
En période trouble, quand le peuple a besoin de repères, il lui faut des héros, des icônes. Suite au succès du premier « X-Men » (Singer, 2000), une vague de super-héros a déferlé sur les écrans, de qualité inégale. Sensés avant tout nous rassurer et nous rassembler sous une même bannière (« Captain America » ne sort d’ailleurs que cette année, c’était probablement too much de proposer trop tôt ce gaillard habillé des couleurs américaines), leur retour prend d’ailleurs en compte les attentats et les intègre dans une nouvelle mythologie. L’exemple le plus frappant est « Iron Man »(Favreau, 2008), où Tony Stark vend des armes à ses futurs ennemis en Afghanistan !
Dans un monde en plein chaos, il faut parfois soigner le mal non par le mal, mais pas par du rassurant non plus. Après un « Batman Begins » (Nolan, 2005) où Ra’s Al Ghul veut détruire Gotham City, une ville pourrie jusqu’à l’os car construite grâce à la corruption, le second épisode « The dark knight » (Nolan, 2008) montre une ville victime du terrorisme du joker, à feu et à sang, où Batman se voit carrément contraint d’endosser le costume du bad guy pour fédérer les habitants contre une ennemi commun. Toujours d’après l’univers DC Comics, l’homme d’acier de « Superman returns » (Singer, 2006) justifie son absence pendant les attentats car il revient sur Terre après un long voyage en quête de ses origines sur Crypton. Peu d’allusion directe dans la trilogie « Spider-Man » (Raimi, 2002, 2004, 2007), où le plus new-yorkais des super-héros doit tout de même affronter plusieurs menaces de grande ampleur s’abattant sur la Grosse Pomme (le premier film est directement lié à l’évènement via sa bande-annonce, restée célèbre car changée au dernier moment, on y voyait Spidey capturer un hélicoptère dans sa toile entre les deux tours).
Des anciennes gloires fracassées
Quand les repères tendent à se brouiller, rien ne vaut une bonne vieille icône sur le retour. Si possible non dénuée d’humour, moulinant de la vanne à tour d’empalement et défouraillages. Cette décennie a vu revenir des bons gros dégommeurs en série, têtes d’affiches d’une époque révolue où les méchants étaient clairement identifiés, là-bas, loin. Désormais, ces héros doivent en chier pour triompher : des anciens reviennent, marqués à jamais. L’heure est à la vulnérabilité, en particulier pour notre John McClane adoré, luttant à présent (« Die Hard 4 : Retour en enfer », Wiseman, 2007) contre des cyber-terroristes (les moyens des méchants ont changé, McClane est poursuivi par un avion militaire qui se trompe de cible), largué devant les nouvelles races de criminels (avant, ça parlait allemand, tellement simple). Résultat des courses, il est obligé de faire appel au pouvoir geek de Kevin Smith pour triompher (même si balancer une asiat’ dans une cage d’ascenseur en lui collant un 4×4 dans la tête n’est pas pour lui déplaire).
Dans la trilogie « Bourne » (Liman, Greengrass, 2002, 2004, 2007) le nouveau venu Jason Bourne (issu d’un programme de tueurs US !), remplace à présent la terreur britannique 007, trop lisse, trop parfait. Bourne transpire, accumule les accidents de voiture et boîte. Bond, de son côté, ne pouvait se résoudre à disparaître, et après avoir effectué un come back avec « GoldenEye » (Campbell déjà, 1995), re-revient dans une sorte de reboot bourrine en accord avec notre temps. La version Daniel Craig est malmenée, vulnérable, rentre-dedans dans « Casino Royale » (Campbell, 2006). Ne restait plus que le chevelu et sa lame porte-bonheur, qui avale des trucs qui ferait vomir un bouc, John Rambo lui-même. Oui oui, celui qui luttait aux côtés des courageux afghans contre la vermine communiste. Aujourd’hui, Rambo (« John Rambo », Stallone, 2008) est pieds et poings liés, désabusé, se contentant de naviguer sur un fleuve, convaincu que sans la manière forte, les conflits ne seront jamais résolus. La fin cathartique du film, dans un torrent d’hémoglobine défoulatoire, n’est autre que la libération d’un peuple par un groupe de cowboys mercenaires. Tout un programme… Finalement, lassé, il rentre chez lui, dans un retour à la case départ renvoyant au premier film de la série, emblême du traumatisme post-Viêt Nam.
Survivre dans le post-apo
Les Etats-Unis frappés sur leur propre sol, des tours qui s’écroulent, une ambiance de fin du monde, ne pouvaient que précipiter la recrudescence du film d’apocalypse (l’extermination de masse) ou post-apo (la survie contre les ennemis de l’intérieur). Une armada de films comme le glauque « La route » (Hillcoat, 2009), le survival / zombie-like « Je suis une légende » (Lawrence, 2007), la métaphore exterminatrice « Guerre des Mondes » (Spielberg, 2005), les nerveux « 28 jours plus tard » (Boyle, 2002) et « 28 semaines plus tard » (Fresnadillo, 2007) où il est question d’un virus, l’étrange faux-air de dogme de secte « Prédictions » (Proyas, 2009), le new-yorkais attaqué par un monstre géant expiatoire « Cloverfield » (Reeves, 2008), l’ode au boum « 2012 » (Emmerich, 2009), le cyborguien « Terminator : Renaissance » (McG, 2009) témoignent d’une angoisse collective matérialisée par des questions comme : comment gérer la solitude ? Comment se comporter en tant que survivant ? Comment simplement survivre quelques jours de plus ? Quelles sont nos nouvelles aspirations quand tous les êtres chers sont morts ? Qu’est-ce qui fait de nous encore des êtres humains ? Même Pixar s’y est mis avec « Wall-E » (Stanton, 2008), où quand une machine sauveuse de l’humanité s’éprend d’une autre bécane ! Car comme le disait Sarah Connor : « Un enfant protégé par une machine, dans ce monde de fous, c’était le choix le plus raisonnable ». (le prophétique « Terminator 2 : le jugement dernier », Cameron, 1991).
L’apocalypse, quand ce ne sont pas des terres arides arpentées par des survivants paumés, ce sont aussi les zones de combats. L’occasion pour les grands formalistes de filmer des champs de batailles en plans séquences aux cadres déstructurés. Si dans « Les fils de l’homme » (Cuarón, 2006), le futur a des parfums de conflits dans les balkans, « La chute du faucon noir » (R. Scott, 2001) montre des marines englués dans le conflit somalien dans l’enfer de Mogadicio. Et comme pour répondre à ses détracteurs qui l’avaient accusé de livrer un film pro-interventionnisme américain, le père Ridley enchaîne aussitôt avec le très pertinent « Kingdom of heaven » (2005), présentant au contraire les croisés occidentaux comme des sauvages, et les musulmans comme des guerriers sages. Le propos du film résidant dans la volonté d’hommes illuminés de se maintenir au-dessus de la boucherie d’un conflit pour éviter de souiller le royaume de la conscience : en d’autres termes, rester en paix avec soi-même. Un questionnement également au coeur du genre post-apo.
Les films de guerre ont souvent permis de traiter des conflits à hauteur d’hommes, où la frontière entre gentils et méchants se trouble : le quotidien des militaires pendant la guerre du Golfe dans « Jarhead » (Mendes, 2005) nous montre des hommes désoeuvrés en plein no man’s land, un film se clôturant sur une séquence au parfum irréel sur des puits de pétrole en feu dans un désert de nuit. L’oscarisé « Démineurs » (Bigelow, 2008) fuit les caricatures et suit une équipe quasi-suicidaire d’accros aux mines, fuyant leur quotidien pour revivre au milieu des fils à couper. Après son « Vol 93 » (2005) sur la rebellion des passagers d’un avion ayant raté sa cible le 11 septembre, Paul Greengrass s’attaque aux armes de destruction massives fictives en Irak avec « Green Zone » (2010), film de guerre ultra-nerveux avec son Jason Bourne, Matt Damon. Enfin, la guerre vécue à travers le point de vue des envahis, dans un conflit qui s’éternise contre une population locale dans un lieu prétendument hostile, traité de manière à ce que le spectateur adhère à son mode de vie, ses traditions, et à travers le prisme de la science-fiction, tout cela est dans « Avatar » (Cameron, 2009).
A mille lieux d’un fourre-tout cynique et déshumanisé, le cinéma de genre permet avant tout de traiter de sujets de société, souvent brûlants, en utilisant la métaphore de zombies, d’explosion nucléaire, de guerres du futur, de héros en costume. Le cinéma des années 70 excellait en la matière. La décennie 2000-2010 a permis aux gens de digérer le 11 septembre, la confrontation frontale à l’évènement a du attendre, mais sera certainement au coeur des enjeux scénaristiques du cinéma populaire de la prochaine décennie.
Thomas Berthelon : http://thomasberthelon.com