Ruby Hughes, Ana Quintans, sopranos I. Pauline Sabatier, Blandine Staskiewicz, sopranos II. Yann Rolland, Terry Wey, altos. Colin Balzer, Emilio Gonzales, ténors. Christian Immler, Luca Tittoto, basses.
Les Musiciens du Louvre – Grenoble.
Marc Minkowski, direction.
La Messe en si mineur, BWV 232 de J.S Bach
Une Messe en si, ou une messe ascétique ?
Le concert consacré à « la haute Messe » comme disent les Allemands, la Messe en si de Bach a du diviser ou du moins étonner le nombreux public de la Halle Aux Grains peu familier avec les querelles des chapelles des tenants de la musique baroque. Ainsi le bouillonnant Marc Minkowski, pour sa première approche de Bach, lui plus familier des torrents de Haendel ou Lully, a choisi une option radicale.
C’est celle défendue maladroitement par l’américain Joshua Rifkin et bien mieux par d’autres ensembles baroques (Cantus Köln, Kuijken), à savoir la théorie d’une seule voix par partie. Elle est fondée sur des approches musicologiques encore contestées.
Comme Bach n’a jamais entendu ce grand morceau de patchwork qu’est cette « grand messe catholique » composé en deux temps, été 1748 et automne 1749. Pour cette œuvre de commande Bach a comme à son habitude réemployé des matériaux antérieurs. Mais ici il a voulu aussi donner une apothéose de son art, reprenant bien des styles musicaux qu’il magnifie. Mais on ne sait pas grand chose de sa volonté de représentation, et du nombre de musiciens nécessaires.
Cela donne chez Minkowski, nouveau converti à l’ascétisme, lui l’ogre musical, un chœur à dix voix d’où émergent des solistes pour les arias et les duos, et un petit ensemble instrumental de 26 musiciens chargé de ne pas couvrir les voix.
Donc pour ce baptême du feu pour jouer Bach, Marc Minkowski comme à son habitude a choisi de surprendre, voire de provoquer. Il s’en explique ainsi :
« Dès que j’ai commencé à travailler sur la Messe en si, le groupe de solistes m’est apparu comme une évidence musicale. De tout, Bach fait un orchestre. La pensée chez lui est polyphonique, contrapuntique et, si j’ose dire, symphonique…. La Messe me semble produite par la même pensée.
La musique en est si dense, si complexe, si vertigineuse, quelle gagne, à mon avis, en grandeur par le recours à des solistes. Tout à coup, il n’y a plus d’un côté la masse et de l’autre l’individu, mais un seul et grandiose instrument vocal, qui chante la même foi dans le même langage, du «kyrie» au « Dona nobis pacem ». Évidemment, le choix des dits solistes devient alors crucial. Ce n’est plus une question de goût. C’est tout l’édifice qui en dépend. »
C’est une conception, même si on peut douter qu’ainsi la Messe en si soit plus grandiose. Elle sera bien sûr plus lisible, mais une partie non négligeable de sa force risque de s ‘évaporer.
Qu’en est-il au concert ? Si l’enregistrement chez Naïve, était fort peu convaincant avec les solistes mis en avant et l’orchestre à peine audible, le concert inverse les données. C’est l’orchestre qui est en avant et les solistes en retrait. Aussi les voix sont vite couvertes quand les cuivres entrent en action. Et le choix des solistes est perfectible, grandement. Surtout quand Nathalie Stulzmann malade est remplacée au débotté par le contre-ténor Yann Rolland on peut craindre le pire. Et là surprise, c’est lui le plus investi, le plus humain, et son Agnus Dei est le moment fort du concert.
Que dire de l’interprétation de Minkowski, surtout si comme moi on ne partage pas sa conception. Alors on doit lui savoir gré d’aller jusqu’au bout de son idée de façon cohérente, déterminée. L’aura liturgique est effacée au profit d’un certain dramatisme, d’une théâtralité évidente, même si les voix solistes ne semblent pas bouleversées par ce qu’elles chantent. Bach, profond luthérien sans doute pas non plus par les paroles catholiques, mais sa musique oui quand elle parle de la crucifixion et de la résurrection, moins car elle évoque un credo ou un Sanctus qui lui sont étrangers.
La bonne nouvelle est dans la magnifique direction de Minkowski, souple sans les sautillements et les accélérations baroqueuses habituelles. Elle sait être humble et recueillie, attentive aux musiciens et au drame qui se joue. Rien que pour cela ce fut passionnant, malgré cette impression que certes tout est clair, mais que le souffle de l’esprit s’est perdu en route. Certes le vent souffle d’où il veut, mais pour ceux pour qui la Messe en Si est un monument de la musique occidentale, cela ne soulève pas les voiles de la spiritualité.
Bien sûr les approches romantiques sont dépassées, mais le juste milieu d’un Philippe Herreweghe ou d’un René Jacobs semble plus satisfaisant. Et le manque de charisme des solistes, pierre angulaire de cette conception, laisse perplexe.
Les grands progrès depuis l’enregistrement, la densité du propos, la sincérité de la démarche, font de ce concert contesté et sans doute contestable un moment passionnant.
Donner un nouvel éclairage sur ce chef-d’œuvre c’est déjà immense, et dieu que les musiciens du Louvre jouent bien et que leur chef est inspiré!
Une Messe en si, ou une messe ascétique ?
Oui mais la messe est dite et de belle façon, certes originale mais avec quelques contresens.
Gil Pressnitzer