Concerts Philippe Cassard du 19 avril et Jean-François Zygel du 20 avril 2011
La saison musicale 2010-2011 va bientôt se terminer à l’espace Croix-Baragnon, et elle fut éclatante et riche, rappelant à certains les heures de gloire des années soixante-dix. D‘ailleurs le concept des mardis de musique classique à 18h30 porte encore l’empreinte de Xavier Darasse.
Longtemps l’espace Croix-Baragnon fut une belle au bois dormant, que l’on avait fini par oublier et laisser dormir. Puis l’arrivée d’un directeur dynamique et passionné, Alain Lacroix, a redonné vie et qualité à ce lieu redevenu emblématique. Ce combat de plusieurs années pour apporter avec exigence et talent la crème des meilleurs jeunes interprètes au public toulousain, et des passeurs éclairés de musique, est gagné et de quelle façon !
C’est là qu’il faut aller pour entendre de la musique de chambre de haut niveau, dans cette salle, toujours bleue, de 180 places et à l’acoustique remarquable. Les musiques du monde et le jazz ont également trouvé là un « diwan du monde ». Mais c’est sur la musique classique de chambre qu’il faut s’attarder, parent pauvre à Toulouse, et souvent rare à un tel niveau d’excellence. Les saisons passées nous ont fait découvrir le quatuor Modigliani, le trio Dali, Bertrand Chamayou entre autres.
Cette saison des cycles autour de Schumann, Chopin, Debussy, Brahms, Liszt… avec des interprètes comme le quatuor Zaïde, des pianistes comme Nicolas Stavy, Olivier Peyrebrune, Guillaume Vincent et bien d’autres, ont forgé une ligne artistique, une cohérence et de futurs grands noms.
Cette saison Philippe Cassard a donné ses notes du traducteur, pour dévoiler les arcanes des œuvres qu’il jouait. Pendant 6 saisons l’enchanteur Jean-François Zygel est venu nous rendre familier des grands compositeurs avec ses leçons de musique, une année spéciale Mozart, des pochettes-surprises, bien sûr surprenantes effectivement. Ce sont ces deux derniers concerts du 19 et du 20 avril qui ont clôturé la saison dite classique. Concert Philippe Cassard du 19 avril et du 20 avril qui ont clôturé la saison dite classique.
Concert Philippe Cassard du 19 avril
Fantaisie et pédagogie
Sous le thème générique de la Fantaisie Philippe Cassard a tenté, toujours comme à son habitude en « zeitnot », à court de temps, de dresser un panorama de cette forme entre improvisation et imagination qui va des musiciens élisabéthains (Dowland, Byrd, Gibsons…) à aujourd’hui. Bien sûr ce sont ses chers romantiques qu’il vénère tant, qui ont eu la part belle. Ainsi après un détour moins concerné par la Fantaisie en ut mineur, K. 475 de Mozart à peine effleurée, Philippe Cassard se livre vraiment avec la Fantaisie opus 49 Chopin et le premier mouvement de la Fantaisie opus 17 de Schumann. Ce sont des œuvres étonnantes et superbes, fort bien interprétées avec fougue par le conférencier-pianiste.
Les qualités d’interprète et de fin connaisseur de la littérature et des arts plastiques de ces époques lui permettent d’approfondir la structure et la pensée du compositeur. Les pêchés mignons de Cassard de vouloir parfois donner des cours d’interprétation, et surtout de vouloir trop dire tout à la fois sans dégager l’essentiel et quelques idées force, mais aussi de ne pas encore avoir su adapter à l’acoustique de la salle ses grands éclats de pianiste font de ses leçons de musique certes un grand moment de connaissances, mais pas encore un moment magique.
On sort de ce concert-lecture un peu accablé de renseignements (l’analyse de la Fantaisie de Schumann a été pourtant un grand moment), mais sans la légèreté de la révélation et de l’empathie.
Concert Jean-François Zygel du 20 avril 2011
Variations pour une porte et des désirs
Cette ultime pochette-surprise aurait pu s’appeler « Variations pour une porte et des désirs ». Zygel était en duo avec duo avec Véronique Willmart sa condisciple au Conservatoire, et qui fait de la musique acousmatique ou concrète, lointaine héritière de Pierre Henry et Pierre Schaeffer, qui eux aussi à partir de sons bruts et réels ont bâti un œuvre. Jean-François Zygel a donc tenté de marier son génie de l’improvisation à cette lutherie informatique. Lui est toujours entre légèreté et grâce. Sa partenaire, très en retrait, se contente de nappes sonores sans que le dialogue soit évident. On entendait les gouttes d’eau, la moulinette, sans doute la porte, mais les désirs restaient… à la porte.
Et depuis quelques belles œuvres du GRM (Groupe de Recherches Musicales), du GMEA d’Albi, de Berio, de Xenakis, ou de Stockhausen dans des démarches cousines, cette musique ne surprend plus. Mais ici dans ce contexte cela faisait décoration sonore un peu planante.
Qu’importe, les parties de piano étaient remarquables, loin des improvisations habituelles de Zygel, plus près du jazz moderne, mais toujours fascinantes et prêtes à répondre et bondir aux moindres idées qui passent. Depuis Léonard Bernstein et ses leçons de musique, aucun passeur de musique et de sensations n’était advenu avec une telle aura. Jean-François Zygel est un elfe, un lutin parfois. Humour et tendresse, immense compétence et simplicité absolue des mots choisis, font de lui un immense transmetteur d’émotions. Il sait d’un trait aller au plus profond des identités des musiques. On se sent intelligent et sensible en l’écoutant, du moins le temps de son écoute. Il est la musique, il irradie la musique.
Magicien inspiré et malicieux, il fait de la transmission un jeu, un plaisir communicatif, un moment de joie partagée. Et son art de se renouveler sans cesse est prodigieux. Plus qu’un grand pianiste il est un grand maître du partage en musique. Alors au gré de ses partenaires, chanteur, violoniste, ordinateur ou autre, il sait nous faire voyager en faisant sienne la parole de Montaigne « Glissez, mortels, n’appuyez pas ». Avec lui la musique devient un sourire, un sourire profond.
Les bonnes nouvelles données par Alain Lacroix sont que Philippe Cassard, la science, et Jean-François Zygel, la grâce, tous deux indispensables et complémentaires pour faire aimer la musique, seront de nouveau présents la saison prochaine. Philippe Cassard célébrera notamment l’année Debussy de 2012, et Jean-François Zygel, au travers d’instruments insolites, évoquera les musiques du monde. Les riches heures de la salle Bleue se déploient donc encore et toujours plus chatoyantes.
Gil Pressnitzer